Et si nos technologies devenaient organiques ? Un transhumanisme biologique est possible
Terence Ericson
2017-04-25 00:00:00
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Cet article est une synthèse d’une interview qui sera diffusée dans l’émission de Jérôme Bonaldi Le Mag de la Science, sur la chaîne Science&Vie TV en juin prochain.

Par Terence, étudiant en biologie & membre de l’AFT.

Les humains ont d’abord cherché à intégrer la machine à l’homme. Cette idée, qui était alors à la mode, s’est notamment développée lors de l’essor du transhumanisme à la fin du XX° siècle. Mais ne pourrait-on pas à l’inverse chercher à intégrer la biologie à nos technologies ? Cette idée est prise très au sérieux par de nombreux laboratoires.

Depuis quelques années, en effet, le domaine de la biologie est le théâtre de nombreuses découvertes. La génétique, la gérontologie, ou science du vieillissement, ainsi que les neurosciences sont notamment en plein essor. Si l’explosion des potentialités en biologie fut aussi tardive, c’est parce que le phénomène de la convergence technologique n’est pas un processus uniforme pour toutes les sciences. La “loi de Moore”, cette conjecture dont certaines extrapolations envisagent une évolution exponentielle du progrès scientifique et technique, s’est avérée précise dans le domaine de l’informatique. En revanche, on ne peut pas en dire autant des biotechnologies, où le progrès demeure encore assez linéaire. Pour preuve, on peut citer le fait que d’après les estimations de la conjecture de Moore, on devrait arriver à construire un ordinateur aussi puissant que l’ensemble des cerveaux de l’humanité avant de construire un ordinateur dotée d’une conscience humaine.

Pourquoi faudrait-il ainsi miser la recherche sur la biologie et la chimie organique autant que sur l’informatique et et la robotique ? Pour de nombreuses raisons. Le but ici n’est pas de débattre de l’idée d’un monde posthumaniste où les humains auraient tous quitté leur enveloppe biologique pour une intégrité numérique. Si en effet l’une des valeurs du technoprogressisme est la liberté individuelle, alors libre à chacun de choisir ce qu’il veut devenir pour autant que cela ne nuise pas à d’autres. Il est ainsi légitime d’imaginer que des hommes préféreront devenir numériques plutôt que de demeurer organiques.

En revanche l’idée d’étudier le vivant pour l’intégrer au coeur de nos technologies est souhaitable dans le sens où la nature demeure le plus grand ingénieur présent sur Terre. La liste des inventions inspirées de la biologie est longue : l’avion, l’aspirine, le velcro etc… Cela s’appelle le biomimétisme. Le scientifique Jean-Pierre Sauvage est devenu prix Nobel de Chimie 2016 grâce à ses travaux sur les moteurs moléculaires. Des robots nanoscopiques sont en effet capables de vibrer ou tourner sur eux-mêmes, une révolution en soi. Pourtant nous sommes encore à l’âge de pierre par rapport à ce dont sont capables les protéines de nos cellules. Rotor, stator, système de refroidissement, transport de l’information, nos protéines sont capables de tout. Ma préférée, la Kynésine, est dotée de deux jambes et marche littéralement à l’intérieur de nos cellules pour transporter des vésicules mille fois plus grosse qu’elle, tel Atlas portant la Terre.

La biologie et la biochimie ont cet avantage de faire preuve d’une optimisation quasi- totale de leurs fonctions. Tout y est thermodynamiquement plus stable, moins désordonné qu’avec des technologies électroniques. Le cerveau humain par exemple est beaucoup moins énergivore que Tianhe-2, un des trois super-ordinateurs les plus puissants au monde. Mieux, là où Tianhe-2 a besoin d’un surface de 400 m², le cerveau humain est contenu dans une boîte crânienne d’un litre et demi. Au final, même si les deux restent difficilement comparables, le cerveau demeure toujours bien plus efficient qu’un réseau neuronal simulé.

Technologies organiques, où en est la science ?

Partons maintenant à la découverte de ce que les laboratoires élaborent déjà en matière de technologies organiques :

à l’université de Lund, en Suède, des chercheurs viennent de créer un ordinateur biologique [1]. Il est composé de protéines d’actine et de myosine qui peuvent glisser l’une sur l’autre. C’est d’ailleurs de cette manière que nos muscles se contractent. Ainsi ce ne sont plus des électrons qui circulent, mais des protéines. Ces protéines étant plus ou moins longues, cela décuple la complexité du signal, qui permet alors de réduire le temps de calcul nécessaire à un problème donné. C’est un peu comme si jusqu’à présent nous n’avions que l’addition pour réaliser des calculs, puis que d’un coup nous possédions un système plus complexe, avec la multiplication et la division, permettant de résoudre plus rapidement ces même calculs. Il est intéressant de noter que l’ordinateur quantique fonctionne sur ce même principe de complexification du signal grâce aux bits quantiques.

Autre ambiance, autre découverte : à Harvard, des chercheurs essayent de développer une mémoire à base d’ADN [2]. Nous savons que nos disques durs et nos portables sont soumis à l’obsolescence programmée et ne durent en moyenne que quelques années. En revanche l’ADN, là où se trouvent nos gènes, pourrait lui résister plusieurs milliers d’années sans être altéré. Mais la véritable avancée réside dans la compaction même de cette mémoire : selon les chercheurs, seuls quelques gouttes d’ADN serviraient à contenir l’ensemble des livres de l’humanité.

Enfin, à Harvard toujours, des bio-robots microscopiques sont dotés de cellules musculaires de rat capables de se mouvoir tel une raie ou une méduse [3]. Ces robots organiques n’ont besoin de que de très peu d’énergie et n’ont pas besoin d’être rechargés par une batterie. En effet, leur consommation d’énergie est optimisée par leur caractère biologique. Là, on est vraiment face à des inventions qui brouillent la frontière entre le vivant et l’inerte, entre Homme et Machine.



Mais concrètement, comment de telles découvertes pourraient se matérialiser en tant qu’augmentations humaines ? Prenons l’exemple de l’augmentation que nous utilisons probablement le plus au quotidien, notre téléphone portable. Intégrer celui-ci au sein de notre organisme sous une forme biologique pourrait permettre, d’une certaine façon de dé-robotiser l’humain. Ne plus être attiré par la virtualité de nos écrans, regarder à nouveau devant soi et re-découvrir le monde qui nous entoure. Ceci représentait déjà la volonté des Google Glass, mais ne serait-ce pas bien plus intuitif, et socialement moins agressif, si une telle fonction était inscrite au cœur de notre biologie ? Nous pourrions par exemple modifier les cellules photoréceptrices de notre rétine pour qu’elles affichent un SMS dans un coin de notre vision. Une telle modification pourrait être ponctuelle, réalisable après une chirurgie dans un premier temps. Mais sur le long terme, il serait possible que les avancées dans le domaine de la génétique nous permettent d’inscrire directement cette fonction au cœur de notre génome.

D’autre part, il serait également envisageable de s’inspirer de la magnétoception des pigeons voyageurs, ou encore du sonar des dauphins et des chauves-souris pour créer un organe connecté qui puisse nous doter du sens de géolocalisation. L’objectif d’avoir un GPS dans la tête n’est pas de l’afficher également dans notre champ de vision, mais plutôt de ressentir mentalement notre environnement même si on ne le voit pas directement. Si vous fermez les yeux, vous êtes capables de vous représenter mentalement l’intérieur de votre maison. Avoir le sens de la géolocalisation pourrait nous rendre aussi à l’aise que cela, mais dans une ville qui nous est totalement inconnue.




« Dématérialiser les objets connectés à l’intérieur de nos organismes pourrait permettre de dé- robotiser l’humain »




Il ne s’agit là que d’une rapide présentation des potentialités du transhumanisme biologique, mais une chose est sûre, nous devons tous chercher à préserver la nature tant elle est notre plus grande source d’inspiration en matière de technologies pour le futur. Mieux, un transhumanisme biomimétique propose, en parallèle à un transhumanisme robotique et cybernétique (davantage mis en avant dans les médias), d’offrir la possibilité aux humains de demain, amoureux de leur conditions biologique, de continuer à jouir de celle-ci tout en exploitant au mieux ses nouvelles potentialités.

Sources :

[1] Dan V. Nicolau Jr. Parallel computation with molecular-motor-propelled agents in nanofabricated networks. 2016

[2] Robert N. Grass. Robust Chemical Preservation of Digital Information on DNA in Silica with Error-Correcting Codes. 2015

[3] Kit Parker. Robotic Stingrays Made with Rat Heart, Algae, and Plastic Fins. 2016