Initialement publiй sur le site de l'Association Franзaise Transhumaniste - Technoprog
Nous avons précédemment vu que l’outil de thérapie génique CRISPR-Cas9, visant à couper des portions d’ADN défectueuses pour les remplacer par d’autres plus intéressantes, est plus rapide, plus précis et surtout bien moins cher que les autres techniques utilisées auparavant. Le coût serait même divisé par mille selon certains scientifiques comme Georges Church, biologiste moléculaire à Harvard. Cela est dû au fait que les protéines Cas9, en plus d’être des ciseaux moléculaires très précis, ont la caractéristique intéressante d’être reprogrammables, donc réutilisables pour différents séquences de l’ADN, un véritable outil « tout-en-un ». Si nous avons étudié précédemment les potentialités immenses de la technique CRISPR-Cas9, nous pouvons légitimement nous demander si les chercheurs ont réussi à exploiter celles-ci. Étudions quelque unes de ces découvertes à travers cette liste non exhaustive :
La technique CRISPR-Cas9 va par exemple rebattre les cartes dans l’élaboration des plantes et des animaux génétiquement modifiés. Trente-cinq ans après la création de la première plante OGM, le consensus scientifique a établit la sûreté sanitaire de la technique, comme le rapporte cette étude analysant 10 ans de recherche sur le sujet. L’objectif des plantes OGMs fut d’abord la préservation des rendements agricoles en améliorant la lutte contre les nuisibles (mauvaises herbes, ravageurs, maladies) mais de nouvelles plantes apparaissent sur le marché avec des avantages nutritifs.
En Suède en 2016, le premier repas d’OGM réalisés par technique CRISPR-Cas9 a été servi, et va probablement ouvrir la voie à de nombreuses autres avancées en matière d’OGM. L’un des intérêts d’utiliser l’outil CRISPR-Cas9 est en effet de pouvoir simplement modifier localement la séquence d’un gène pour en inhiber ou modifier l’expression, sans avoir à insérer un gène étranger comme c’est le cas dans les modifications génétiques traditionnelles. De tels OGMs seraient de fait indistinguable des plantes dont ils sont issus puisque des mutations aléatoires auraient pu produire le même résultat. De fait il est encore incertain que ces plantes doivent relever de la législation spécifique aux OGM.
Mais la Cas9 peut aussi permettre de l’insertion très précise de gènes dans un génome. Certains scientifiques pensent ainsi utiliser la capacité de reprogrammation de l’outil CRISPR-Cas9 pour faire renaître des espèces aujourd’hui disparues comme le mammouth. En récupérant des fragments d’ADN de mammouth congelés, les chercheurs espèrent les insérer dans le génome d’un éléphant, l’espèce toujours vivante génétiquement la plus proche. Si cette idée digne de Jurassic Park semble avoir peu d’intérêt à l’heure actuelle, celle-ci pourrait s’avérer être un coup marketing pour attirer l’attention et l’argent. Cela permettrait, à l’avenir, de développer cette technique pour de véritables espèces en danger, comme l’éléphant d’Asie. On pourrait ainsi les sauver de l’extinction de la même manière que l’on aura su réintroduire des mammouths dans la nature.
Et sur l’homme ? où en est-on ?
Il existe deux manières d’utiliser une thérapie CRISPR-Cas9 sur un organisme humain : soit en modifiant la cellule oeuf, c’est-à-dire la cellule résultant de la fusion de l’ovule et du spermatozoïde et donnant par multiplication l’intégralité des cellules de l’organisme adulte ; soit en injectant localement l’ADN modifié dans un humain déjà adulte. Modifier la cellule oeuf est interdit en France, mais pas dans certains autres pays. Si la Chine est probablement la pionnière dans la modification génétique d’embryon dès 2015, avec les travaux controversés de Jinjui Huang, d’autres équipes comme celle de Fredrik Lanner en Suède en 2016 tentent elles aussi de modifier génétiquement des embryons humains avec la technique CRISPR-Cas9.
L’utilisation de la technique CRISPR-Cas9 sur un organisme adulte est également envisageable. Prenons l’exemple de la myopathie de Duchenne, une maladie génétique qui détruit les muscles et réduit drastiquement l’espérance de vie. Une équipe de chercheurs a réussi à injecter un virus non pathogène contenant de l’ADN sain, conçu par technique CRISPR-Cas9, dans des souris atteinte de la myopathie. Le virus, en infectant les cellules musculaires, va ainsi donner le gène sain à chacune d’entre elle. Le résultat est très prometteur, et d’autres études menées sur des chiens handicapés ont même permis à ces animaux de courir à nouveau.
Les risques de cette technologie et notre rôle face à cela
Avant d’aborder les questions de bioéthique, comme celle de l’eugénisme social, commençons par étudier les dangers de la thérapie génique CRISPR-Cas9 dans un cadre purement scientifique : si les généticiens viennent de maîtriser cet outil incroyable, ils sont encore loin de maîtriser l’intégralité de leur science, la génétique. Cela nous amène à voir cette science comme un iceberg : nous ne connaissons que sa partie émergée, c’est-à-dire assez peu. Certes, des découvertes comme le mécanisme de CRISPR-Cas9 sont comme des sous-marins qui nous permettent de plonger dans cet univers inconnu. Mais il faut savoir que seul 1% de notre ADN contient de l’information permettant la synthèse de nos protéines, et le reste possède de nombreuses fonctions biologiques que nous commençons à peine à comprendre.
Changer juste une lettre dans la séquence d’un gène responsable d’une maladie héréditaire semble donc possible, mais changer un gène entier, de plusieurs milliers de lettres, semble risqué tant on connaît mal le fonctionnement de notre génome. L’implantation hasardeuse d’un gène par la technique CRISPR-Cas9 pourrait avoir des effets secondaires comme des réactions immunitaires, des rejets, voire même des cancers. C’est en effet pour la même raison que les thérapies à base de cellules souches peinent aussi à se développer : la plupart du temps, l’implantation de cellules souches aboutit à la formation d’un cancer. En effet, les chercheurs connaissent mal le fonctionnement de la différenciation cellulaire. Des cellules souches implantées sans contrôle précis de leur environnement vont ainsi très souvent se multiplier jusqu’à former une tumeur.
La seule solution pour qu’une thérapie génique présente un risque acceptable : la patience et le travail. Il s’agit en effet d’un processus à long terme qui est le même que celui pour le développement de toute nouvelle thérapie. Les dangers présentés ici ne seront probablement plus d’actualité à l’avenir, lorsque la science et la technique seront toutes deux suffisamment maîtrisées. Un transhumanisme durable et social défend l’usage de la technologie CRISPR-Cas9 a des fins thérapeutiques avec prudence et transparence. La prudence, cela ne signifie cependant pas nécessairement la lenteur et surtout pas lorsqu’il s’agit de thérapies susceptibles d’améliorer la vie et même de sauver la vie de centaines de millions de personnes de par le monde.
La prudence, cela signifie notamment plus (et non moins) de recherches, surtout des recherches publiques, relatives aux avantages et aux risques des thérapies nouvelles. Les recherches publiques sont particulièrement importantes pour limiter les risques et permettre l’appropriation collective. La transparence, cela signifie entre autres l’exigence de publication accessible à tous les chercheurs, des résultats de recherches. Ces résultats doivent être publiés même lorsqu’ils sont négatifs, car le progrès scientifique se fait aussi en « fermant des portes ». Avant de pouvoir employer le génie génétique à des fins mélioratives, il faut que ce dernier ait fait ses preuves dans le domaine thérapeutique.
Le technoprogressisme plutôt que le transhumanisme radical
Si l’on s’accorde de plus en plus à dire que supprimer un oncogène (un gène qui provoque indirectement le développement d’un cancer) dans le génome d’un embryon est éthique, beaucoup de personnes pensent qu’il existe une limite à cela. Celle-ci est notamment dépassée lorsque qu’au lieu de modifier l’ADN pour supprimer un oncogène, on modifie celui-ci pour créer un être plus intelligent, plus musclé ou encore plus beau. Pourtant, prendre le problème dans le sens inverse nous amène au même paradoxe : si créer un être prédisposé artificiellement à être plus intelligent n’est pas éthique, est-ce que laisser un bébé naître avec un oncogène alors qu’on aurait pu le supprimer l’est également ?
C’est notamment ici que le discours bio-conservateur, condamnant le transhumanisme, trouve ses limites : comment souhaiter de manière générale la conservation de l’humain, génétiquement non muté, en refusant le développement de techniques comme CRISPR-Cas9 sur l’homme, et parallèlement accepter la naissance d’un individu porteur d’une importante mutation génétique comme la trisomie 21 ?
Même s’il s’agit d’un véritable casse-tête, une fois de plus le temps et la patience pourraient le résoudre. Reprenons pour cela le cas de la trisomie 21 : en France, 96% des parents choisissent l’interruption volontaire de grossesse lorsque la maladie est détectée. Ce chiffre élevé peut apparaître comme la manifestation d’une sorte d’eugénisme. Mais, si le mot “eugénisme” peut faire peur, il est important d’avoir du recul sur son véritable sens. Aujourd’hui dans notre société, il est considéré éthiquement acceptable de choisir de ne pas laisser un enfant trisomique naître. Nous pouvons légitimement penser qu’à l’avenir, à mesure que la science évoluera, les mentalités feront de même. Demain, modifier l’ADN d’un embryon pour y supprimer des gènes défectueux et des prédispositions à certaines maladies pourrait être possible, éthique et enfin légal.
C’est en acceptant et en continuant le développement de l’outil CRISPR-Cas9 dans notre propre pays que l’on pourra prévenir les dérives ailleurs, comme en Chine ou plus voire aux États-Unis. C’est uniquement en étant à la genèse de cette technologie que l’on pourra jouir des potentialités incroyables de la thérapie CRISPR-Cas9 avec prudence, transparence, raison et surtout dans le respect de la dignité humaine. L’outil peut véritablement devenir une technologie choisie et encadrée, et non une innovation subie.
Il est possible aujourd’hui d’imaginer un monde où la technologie CRISPR-Cas9 et d’autres thérapies auraient permis d’éradiquer définitivement les cancers [1] ou encore les maladies du coeur. Pourquoi ces deux exemples ? Parce qu’à eux seuls, ils représentent respectivement 30 et 20% des causes de décès en France, soit la mort d’un français sur deux à l’heure actuelle. La technique CRIPSR-Cas9 est défendue par le transhumanisme car les deux permettent d’envisager d’allonger radicalement l’espérance de vie en bonne santé. Une grande partie des causes d’un décès, jusqu’à 90% en France, sont en effet liées au vieillissement. La thérapie CRISPR-Cas9 pourrait à terme changer la donne, ne serait-ce qu’en permettant de supprimer le cancer et les autres maladies neurodégénératives dans les années à venir.
Pour aller plus loin :
[1] On estime à 5% les causes purement génétiques d’un cancer. Mais les chercheurs pensent qu’une thérapie génique de type CRISPR-Cas9 de nos globules blancs, les principales cellules de notre système immunitaire, pourrait nous permettre à l’avenir de lutter contre n’importe quel type de cancer, qu’il soit d’origine génétique ou épigénétique (causé par le tabac, l’alcool, une mauvaise alimentation, le Soleil etc…).
[2] De nombreuses vidéos sur Youtube traitent brillamment de la technique CRISPR-Cas9, comme ScienceÉtonnante, ou encore Kurzgesagt
[3] Sondage sur les français et CRISPR-Cas9
[4] Seconde vidéo recommandée de la chaine Youtube Kurzgesagt sur les OGM