Les révolutions biotech : 2 / MicroARN, gros organismes
Terence Ericson
2017-07-11 00:00:00
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Initialement publié sur le site de l'Association Francaise Transhumaniste - Technoprog

L'intégralité de notre corps est composé de cellules, tout comme l’intégralité de la matière est composée d’atomes. Même si leur structure et leur organisation sont très spécifiques, les os, la peau ou encore le sang sont tous des tissus composés de cellules. C’est pourquoi n’importe quel type de vieillissement de notre organisme peut être expliqué par un vieillissement cellulaire. C’est donc pour cette raison que l’allongement de l’espérance de vie est un défi qui se trouve au coeur de nos cellules et de notre ADN. Les humains ont ainsi le choix d’améliorer leur propre corps pour vivre plus longtemps, et la confiance en notre corps est toujours permise si l’on souhaite rester pleinement humain.

Malheureusement, la renaissance biologique de l’humain est aujourd’hui encore limitée à de nombreux facteurs techniques et scientifiques. Il existe pourtant de nombreuses pistes, parfois discrètes, parfois célèbres comme CRISPR-Cas9, pour contrôler le vieillissement. Ces techniques sont plus ou moins explorées du fait de nos techniques limitées ou encore de la difficulté d’étudier certains organismes. Parmi celles-ci, une retient particulièrement mon attention : la biologie des gros organismes. Afin de comprendre au mieux ce domaine, formulons une hypothèse à partir de ces quelques affirmations : le cancer est reconnu pour être une dégénérescence des cellules. Celles-ci sortent effectivement de la phase stable du cycle cellulaire, appelée phase G0, pour amorcer une division infinie. Les cellules cancéreuses deviennent donc immortelles et augmentent la taille de la tumeur en se multipliant indéfiniment. Cette dégénérescence cellulaire a lieu lorsque que les gènes qui régulent la sénescence des cellules subissent une mutation. Le gène P53 [1] en est un bon exemple, puisque celui-ci est impliqué dans la régulation des divisions cellulaires, et est modifié dans près de la moitié des cancers [2]. Les cellules cancéreuses immortelles prolifèrent alors dans nos tissus (métastase) jusqu’à provoquer la mort de l’organisme entier si des fonctions vitales sont touchées.

Voici donc une hypothèse : d’après une approche probabiliste, plus un organisme est grand, plus il possède de cellules, et, de facto, de molécules d’ADN, rappelons-le, présent dans le noyau de toutes les cellules du corps. Ainsi la probabilité qu’une molécule d’ADN subisse une mutation et qu’un cancer se développe devrait être proportionnelle à la grandeur de l’organisme [3]. Les baleines devraient donc présenter un risque de cancer plus élevé que les souris, ou même que les hommes. Or en réalité il n’en est rien.



Ces espèces présentent moins de cancers, et de manière générale leur longévité est plus grande que la nôtre. L’éléphant est connu pour vivre jusqu’à 70 ans, les tortues géantes elles plus de 200 ans. Le vertébré ayant la plus longue espérance de vie serait l’énorme et mystérieux requin du Groenland. Cette espèce endémique de l’île, encore très méconnue, peut vivre jusqu’à 400 ans. Sa longévité serait due à son métabolisme extrêmement ralenti par le froid dans lequel il évolue, qui lui permettrait de préserver son corps, tout comme l’homme a appris à placer ses aliments dans un congélateur pour les conserver. Malheureusement le froid ne peut pas représenter la solution miracle pour des animaux à sang chaud tels que les humains. Mais une autre espèce pourrait davantage représenter un intérêt pour la lutte contre le vieillissement : il s’agit de la baleine boréale. Ce mammifère marin peut vivre jusqu’à 200 ans. Son métabolisme, plus vigoureux que celui du requin du Groenland, est ainsi plus proche de celui de l’homme. Nous avons plus de 95 % de gènes en commun avec cette espèce. Il semble donc plus aisé de chercher dans les 5 % restants ce qui permet à la baleine boréale de vivre aussi longtemps. Cela représenterait l’espoir qu’un jour l’homme puisse s’inspirer du métabolisme cellulaire de la baleine boréale pour augmenter son espérance de vie.

Le secret de la baleine se loge au coeur de ses cellules : il s’agit de ses microARN. Les cellules possèdent en effet plusieurs types d’ARN, molécules porteuses d’informations génétiques au même titre que l’ADN. On distingue notamment les ARN dits « messagers ». Les ARN messagers sont des copies de morceaux d’ADN, qui codent la fabrication des protéines nécessaires à nos cellules. Les ARN dits « microARN » peuvent, eux, s’hybrider avec les ARN messagers ayant des séquences analogues. L’ARN messager est ainsi rendu non-fonctionnel et il ne peut plus assurer la synthèse de la protéine qu’il codait. D’après une étude de la revue Cell, La baleine boréale posséderait plus de cent cinquante microARN propres à son espèce, capables « d’éteindre » des ARN messagers codants pour des protéines qui pourraient induire un cancer.





À droite un pré-microARN (avant maturation via la protéine DICER pour devenir un microARN), à gauche de l’ADN. L’un est petit et simple brin, l’autre très long et en forme d’hélice double-brin. Tout deux étant de la famille des acides nucléiques, ils peuvent facilement s’hybrider (se coller l’un à l’autre).

Ainsi de tels organismes peuvent espérer vivre plus longtemps, en contrôlant les facteurs cellulaires capables d’augmenter la probabilité de développer une tumeur. Il s’agit d’une évolution logique de ces espèces pour contrer le risque proportionnel à leur taille de développer un cancer. La biologie des gros organismes peut se révéler très intéressante, mais paradoxalement elle reste trop peu présente au sein de la recherche scientifique pour la lutte contre le vieillissement.

Outre proposer des technologies pour vivre plus longtemps, les microARN de la baleine boréale ont permis de confirmer les récentes découvertes faites sur le cancer. Un tumeur se développerait ainsi plus souvent à partir de cellules singulières : les cellules qui présenterait un défaut sur les gènes codants pour des microARN. Ainsi les cellules possédant des microARN défectueux se retrouveraient dans l’incapacité d’éteindre des gènes augmentant la probabilité d’avoir un cancer. Ces cellules seraient donc plus enclines à développer une tumeur. Un lien direct existe entre le cancer et les microARN, et il pourrait changer profondément l’approche qu’a la médecine des maladies dégénératives. C’est dans cette idée que maîtriser les microARN, et ainsi certains facteurs menant au développement d’un cancer, pourrait être un piste importante pour allonger l’espérance de vie en bonne santé. Il s’agit là d’un progrès qui s’inscrit pleinement dans les valeurs longévitistes de Technoprog.

Parmi les pistes de la médecine qui visent à utiliser des microARN dans la détection et la lutte contre les cancers, on peut citer une innovation française [4], qui nous vient des laboratoires du CNRS : des dispositifs microfluidiques sont capables de rapidement détecter des quantités faibles d’ADN ou d’ARN. En effectuant à de petites échelles ces dépistages (d’où le nom de « micro » fluides), ce qui demande d’ailleurs une grande maîtrise technique, les chercheurs peuvent créer des réactions chimiques ultra-précises. Celles-ci sont capable de détecter, vous l’aurez compris, la signature microARN typique que présente un organisme porteur d’une tumeur. Par exemple, si on découvre la présence d’un microARN surexprimé chez une personne, et que ce microARN bloque la synthèse d’une protéine qui participe au bon fonctionnement de la cellule, comme la protéine déjà citée p53, alors la probabilité d’un cancer est grande. L’objectif est de pouvoir détecter le plus vite possible une tumeur pour pouvoir la contrôler et la supprimer.

Récemment, Technoprog s’est associé pour certaines de ses démarches à Long Long Life, pour diffuser au mieux leurs idées communes. Les scientifiques qui ont pensés Long Long Life ont également fondés Elvesys Microfluidic Innovation Center, entreprise innovante qui excelle dans le domaine de la microfluidique. Ce secteur semble donc très prometteur, en matière de biotechnologies et même au delà, et s’inscrit ainsi parmi les grandes promesses des nano et microtechnologies. MicroARN et microfluides, quand l’avenir de notre médecine se joue à l’échelle microscopique.

Notes :

[1] La protéine P53

[2] La citation

[3] La vitesse du renouvellement cellulaire joue en réalité un rôle lui aussi non négligeable. Par exemple, dans le corps humain les cellules épithéliales sont renouvelées tous les jours, tandis que les cellules cérébrales rarement (seul certaines zones du cerveau comme le gyrus denté observent ce type de renouvellement) ; les cancers apparaissent donc plus souvent au sein de tissus épithéliaux que dans le cerveau. Voir cette étude.

[4] La publication du CNRS