Les révolutions biotech : 4 / Un été à suspens pour la technologie miracle CRISPR-Cas9
Terence Ericson
2017-09-02 00:00:00
URL

Initialement publie sur le site de l'Association Franзaise Transhumaniste - Technoprog

Pour retrouver les précédents articles de la série sur la technique CRISPR-Cas9 : (partie 1/2) & (partie 2/2).

Petit rappel sur CRISPR-Cas9 : Il s’agit d’un complexe utilisé par les bactéries pour cibler le gène d’un virus hôte et le détruire. Pour cela, CRISPR, séquence homologue au gène viral cible et donc capable de reconnaître celui-ci, va s’associer à la protéine Cas9, un ciseau moléculaire, pour couper et rendre non-fonctionnel l’ADN viral. Cela empêchera la multiplication du virus et la mort de la bactérie hôte. L’idée des scientifiques est d’utiliser cette technique pour supprimer des gènes défectueux dans le génome humain, et les remplacer par des gènes fonctionnels dans un premier temps, améliorés et plus performants à plus long terme.

30 mai 2017 – “Unexpected mutations after CRISPR–Cas9 editing in vivo”

Au mois de mai dernier, des chercheurs américains ont tenté une thérapie génique au moyen de la technique CRISPR-Cas9 sur une souris pour corriger le gène responsable de sa cécité visuelle. Il s’agit certes d’un succès, mais en demi-teinte. En effet, si le gène cible a bien été supprimé et remplacé, d’autres mutations ont été détectées. Au total, près de 1500 nucléotides, les lettres qui forment notre ADN et qui représentent donc notre information génétique, ont été changées hors du gène cible. Nous savons depuis plus de cent ans qu’il existe quatre lettres pour former notre ADN, correspondantes aux initiales des 4 molécules qui forment les bases de celui-ci : A pour Adénine, T pour thymine, G pour Guanine et C pour Cytosine.

Savoir que 1500 lettres ont été changées de manière incontrôlée n’est pas une bonne nouvelle. Il ne suffit parfois que d’une seule mutation pour déclencher un phénotype (la caractérisation observable du génome) délétère. La drépanocytose, une maladie génétique qui modifie la forme des globules rouges, augmentant de ce fait le risque de boucher les petits vaisseaux sanguins, en est un exemple caractéristique. En effet, il suffit qu’en une position très précise du gène en question la lettre A soit remplacée par la lettre T (une molécule de thymine à la place de la molécule d’Adénine) pour que survienne le changement de forme des globules rouges, le phénotype dangereux de cette maladie génétique.

Des algorithmes prédictifs ont été utilisés lors de l’expérience sur la souris aveugle (et d’autres) pour tenter d’anticiper ces événements. Mais ceux-ci n’ont pas su prévoir les mutations incontrôlées hors du gène cible, puisqu’ils n’ont pas été conçus pour cela. Et si les algorithmes ne sont pas à blâmer, puisqu’ils n’ont fait que leur travail, l’erreur semble humaine. On connaît toujours très mal cet océan profond qu’est notre génome. Seul 1 à 2% de celui-ci code pour la synthèse de protéines, et nous commençons tout juste à explorer la majorité restante. Les scientifiques ne sachant pas eux-mêmes comment fonctionnent et réagissent certaines de ces parties méconnues de notre ADN, il était impossible d’intégrer dans un algorithme un moyen de voir les mutations incontrôlées de CRISPR-Cas9.

Pourtant il ne s’agit pas là d’une défaite, mais plutôt d’une riche expérience qui nous permet de mieux comprendre la technologie CRISPR-Cas9, et plus largement de connaître un peu plus le fonctionnement de notre génome. Il faut être optimiste, et il n’est pas question ici de ralentir les recherches ou d’être trop prudent, mettant un frein aux études dans ce domaine. Au contraire, si la technologie CRIPSR-Cas9 est plus complexe que prévue, augmentons le nombre d’études sur le sujet, pour surmonter ce défi technologique. Cette philosophie a surement été celle de l’équipe de l’Université de Californie, qui a apporté une réponse à ce problème que sont les mutations incontrôlées hors gène cible des thérapies CRISPR-Cas9, en découvrant une protéine très intéressante.

 

17 juillet 2017 – “Disabling Cas9 by an anti-CRISPR DNA mimic”

En effet, les mutations incontrôlées des thérapies CRISPR-Cas9 ne représentaient pas la fin de l’aventure de cette technologie. Moins de deux mois après, la clé du défi était apportée par des chercheurs américains. Et comme souvent, la nature possédait déjà la réponse au problème. Si nous avons appris précédemment que la technologie CRISPR-Cas9 provenait du système de défense des bactéries contre l’ADN des virus, l’évolution a doté ces derniers d’un moyen de minimiser les dommages engendrés par CRISPR-Cas9.

Tout comme il y a eu des mutations incontrôlées hors gène cible lors de la thérapie génique de la souris aveugle, il y a des mutations incontrôlées hors gène cible sur l’ADN d’un virus lorsque la bactérie attaque celui-ci avec le complexe CRISPR-Cas9. Pour limiter les dégâts, les virus possèdent des protéines anti-CRISPR-Cas9, qui agissent après que l’action de découpage du gène cible ait eu lieu. Une de ses protéines, étudiée par l’équipe californienne, est AcrIIA4. Celle-ci est capable de se lier au ciseau moléculaire Cas9, rendant celui-ci non-fonctionnel. En résumé, d’après les résultats observés in vitro, le complexe CRISPR-Cas9 commence par couper le gène cible, puis AcrIIA4 va neutraliser Cas9 pour éviter que les mutations incontrôlées ne se produisent. Il est intéressant de noter que l’étude a été directement effectuée sur des cultures de cellules humaines, démontrant la compatibilité entre celles-ci et AcrIIA4.

 

2 août 2017 – “Correction of a pathogenic gene mutation in human embryos“

Même si les différents médias internet misaient ces derniers temps sur de grandes avancées dans les laboratoires chinois, c’est finalement une équipe américaine qui a annoncée début août qu’elle venait d’éditer avec succès le génome d’un embryon humain. L’objectif était de supprimer un gène responsable d’une maladie cardiaque, la cardiomyopathie hypertrophique (le coeur est trop volumineux, perturbant ainsi son automatisme électrique, c’est-à-dire les battements du coeur). Il s’agit là d’une première mondiale. Plus de 70% des embryons utilisés lors de l’étude auraient ainsi perdu le gène délétère. Le discours d’un des auteurs de l’article, Shoukhrat Mitalipov, est lui aussi intéressant. Il explique notamment qu’il faut savoir faire la différence entre « corriger » et « modifier » un gène, justifiant ainsi que l’étude de son équipe s’est faite dans le respect des lois et des valeurs humaines.

Si le développement de la technique CRISPR-Cas9 en tant que thérapie génique pouvait être mise en équation, nous observerions probablement une courbe de type « conjecture de Moore » [1]. En effet, d’une part les recherches s’accélèrent, et d’autre part elle vont dans le « bon sens ». Il est facile de quantifier de telles avancées lorsqu’elles peuvent être résumées à des chiffres. La puissance de calcul des ordinateurs qui a explosé pendant plusieurs décennies en est un bon exemple, de même que la taille des transistors qui ne cessait de diminuer. Dans ce cas aussi, c’est l’investissement massif des industriels et des labos qui ont permis la concrétisation de cette sorte de prophétie auto-réalisatrice. En revanche, dans le cas de la biologie, et particulièrement dans celui-ci de CRISPR-Cas9, c’est la qualité de nos connaissances qui s’améliore. Mais l’idée d’une évolution non-linéaire reste la même. Et si cela se vérifie, alors ce minuscule complexe qu’est CRISPR-Cas9 pourrait bien jouer un grand rôle dans la révolution biotechnologique en cours.

En effet, rappelons qu’à terme, la maîtrise de cet outil nous permettrait de supprimer les maladies génétiques ainsi que les prédispositions génétiques aux autres types de maladies (pour ne citer que ces deux exemples).

Pour en savoir plus :

[1] La conjecture de Moore

Deux excellentes vidéos de vulgarisation sur le sujet :

https://www.youtube.com/watch?v=bYVE05egjPg

https://www.youtube.com/watch?v=jAhjPd4uNFY