D'ailleurs, qu'est-ce que la bioéthique ? (synthèse meet-up IGEM) Partie 2/2
Terence Ericson
2018-08-04 00:00:00
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Initialement publie sur le site de l'Association Francaise Transhumaniste - Technoprog

Retrouvez la première partie ici.

Lors du Parisian meet-up, j’ai personnellement interrogé les étudiants sur 3 mots clés qui réunissent à eux seuls les grandes questions d’éthique soulevées par les avancées en biotechnologie. Voici, pour chacun des 3 domaines, une synthèse faite à partir de mon point de vue personnelle et des conclusions tirées du débat avec les étudiants.

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1 Modifications génétiques



Aujourd’hui, les progrès en matière de séquençage du génome permettent, pour 100$ et quelques heures, de connaître les 3 milliards de lettres dont est composé notre ADN. Par ce biais, il est devenu facile d’avoir accès à certaines probabilités, celles prédisant par exemple le risque de développer tel cancer à tel âge. Mais avoir accès à une probabilité ni signifie pas avoir le feu vert pour modifier cette probabilité.

En effet, nous ne connaissons encore que très peu de choses sur le fonctionnement, l’expression, de notre ADN. Si on a longtemps pensé que celui-ci se réduisait au code qu’il contenait, une approche dite “matérialiste” et parfois rapprochée du mode de fonctionnement d’un code informatique, la chose est en réalité bien plus complexe. Par exemple, de très nombreux facteurs externes, appelés facteurs épigénétiques, jouent sur le motif d’expression de notre ADN. Plus récemment même, il a été montré que la mécanique des fluides, c’est-à-dire la dynamique de l’environnement proche de l’ADN, à l’échelle micro- voire nanométrique, influence significativement l’expression d’un gène.

L’un des problèmes est donc le Big Data, c’est-à-dire une immense quantité de paramètres à connaître et à contrôler. En réponse à ce défi, l’une des clés pour comprendre le fonctionnement de notre ADN pourrait ainsi être amenée par l’intelligence artificielle, capable demain de traiter ce type d’espace à grande dimension.

Dans cette optique là, à l’heure actuelle, il est bien plus productif de lutter contre le développement d’un cancer en améliorant notamment son hygiène de vie. Il a par exemple été démontré à quel point une pratique sportive ou une alimentation saine permettent de significativement modifier une probabilité de développer tel ou tel cancer. Il est important de noter que cette affirmation ne s’oppose pas à la possibilité, demain, de comprendre enfin le code de notre ADN, pour ainsi le modifier avec parfaite maîtrise. Le principe de précaution, dans un esprit de bioéthique, ne doit d’ailleurs pas freiner les recherches, mais au contraire les motiver.

Dans le domaine des modifications génétiques, actuellement, un mot revient très souvent dans les esprits, et cristallise les espoirs des chercheurs : CRISPR-Cas9. Il s’agit d’un cas d’école pour aborder la bioéthique, puisque l’arrivée fracassante de cette technologie demande une attention toute particulière et constante pour en maîtriser tous les aspects. Rappelons que la recherche sur l’embryon humain est interdite, sauf rares (et réglementées) exceptions, en France, et modifier son génome via une thérapie de type CRISPR-Cas9 ne peut aujourd’hui s’envisager qu’après la naissance.

Pour conclure l’introduction au sujet, notons qu’il est assez courant de confondre eugénisme génétique, point sensible en bioéthique, et modification génétique. Modifier son ADN n’aboutit pas forcément à un eugénisme. Par exemple, le principe d’un vaccin est d’injecter dans l’organisme un morceau non fonctionnel d’un virus pathogène. Ce morceau va déclencher une modification génétique, appelée recombinaison V(D)J, dans certains de nos globules blanc. Ainsi, en toute théorie, être immunisé contre une maladie par vaccination fait donc de nous partiellement un OGM. Une modification génétique éthique, puisque acceptée par tous, et qui n’entraîne pas d’eugénisme[2].

Inversement également, le dépistage prénatal permet de détecter si un enfant est atteint de trisomie 21. Il est possible, donc considéré comme éthique, d’avorter si le diagnostic révèle l’existence de cette maladie. Dans une telle situation, il est donc question d’eugénisme génétique, puisque nous exerçons une pression négative sur l’existence du gène de la trisomie 21, mais aucune modification génétique n’est pourtant utilisée.



2 Intelligence artificielle (IA)



L’intelligence artificielle est aujourd’hui au coeur de nombreux débats, dans de nombreux domaines, tant ses potentialités sont grandes. Commençons ici par faire la distinction entre l’IA globale, celle qui pourrait être consciente comme un cerveau humain, et l’IA spécialisée. En biotechnologie et dans la recherche en générale, il s’agit uniquement d’utiliser cette dernière. Par exemple, une IA, développée au CHU à Grenoble, tente d’apprendre à lire des IRM de diffusion[3] pour diagnostiquer très rapidement des pathologie nerveuses, comme une ischémie rétinienne. Il n’est donc pas encore question en médecine de créer une IA pour remplacer notre médecin, puisque celle-ci demeure aujourd’hui très spécialisée et non humainement consciente, mais plutôt pour l’épauler au mieux.

D’ailleurs, il ressort que d’un point de vue psychologique, et quelque part par “culture”, les médecins seront toujours appréciés des patients. Nous essayons aujourd’hui en effet d’humaniser un maximum les hébergements spécialisés pour les personnes âgées, tout comme les cliniques infantiles. Ainsi, à court terme, cela sera probablement un choix que de se voir annoncer un diagnostic par un humain ou par un programme informatique. À noter que cette question qui ne se posera probablement plus demain si les chercheurs arrivent à créer une IA dotée d’une conscience humaine, capable d’annoncer avec la même dose d’empathie et d’humanité que le ferait un médecin ou un psychologue, un diagnostic médical.

Il est intéressant d’ajouter que, contrairement à l’exemple de la voiture autonome, il ne faudra pas nécessairement se poser la question de la responsabilité si un diagnostic ou un traitement se révèle inadéquat ou délétère pour le patient. En effet, à l’heure actuelle, un médecin ne commet légalement pas d’erreur médicale s’il exerce son art en utilisant ses compétences et son maximum d’attention. Nous pourrions ainsi imaginer qu’une intelligence artificielle soit écartée de toute responsabilité pour le même motif.



3 Cyborg et robotisation du corps



La question de la “cyborgisation” semble être elle plus réservée à des choix personnels plutôt que soumise à un questionnement d’éthique globale. Il en ressort notamment que l’argument principal de la cyborgisation se réduit au seul choix de son porteur, car chacun peut et doit être libre de devenir ou non, partiellement ou entièrement, robotisé. En effet, une augmentation non biologique du corps humain n’est pas héréditaire (ne se transmet pas à sa descendance), et n’accroit les inégalités sociales déjà existantes. C’est-à-dire qu’avoir un oeil bionique augmente certes l’utilisateur, mais de manière très semblable que celui qui possède un téléphone portable par exemple. Ainsi, interdire la robotisation du corps humain reviendrait à interdire également les smartphones pour les mêmes raisons, et serait donc totalement absurde.

Attention cependant, comme il a été annoncé au début de cet article, les avancées à venir dans ce domaine nous amèneront probablement à revoir rapidement notre jugement sur la question de l’éthique de la cyborgisation.

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Cette liste de 3 mots est non exhaustive, bien que reprenant les principaux domaines d’études en bioéthique. Nous pourrions notamment traiter le sujet de l’expérimentation animale, thème abordé par Joanna Trouchaud, de l’association Animal Testing lors de ces tables rondes. Vous pouvez également retrouver notre article sur les organes-sur-puce, la révolution biotechnologique multiple qui arrive, et dont l’un des objectifs principaux est de supprimer l’expérimentation animale.

Didier Coeurnelle, intervenant lors de ces tables rondes également pour son poste de co-président de l’association Healthy Life Extension Society (HEALES), a lui proposé aux étudiants de débattre sur les enjeux posés par l’allongement de la vie en bonne santé, permise par ces mêmes avancées sur lesquelles les étudiants travaillent.

Une des grandes conclusions de cette rencontre est que les futurs chercheurs en biotechnologies innovantes, formant certes un micro-environnement singulier, sont très intéressés et préoccupés par les enjeux que pose la bioéthique aujourd’hui. Selon eux, il est possible de croire en la recherche scientifique pour imaginer la médecine de demain. Parmis les grands projets présentés, on peut citer l’équipe IGEM Grenoble, qui souhaite utiliser les virus pour combattre les bactéries, en réponse à l’affaiblissement du pouvoir des antibiotiques, ou encore IGEM Pasteur, qui souhaite créer un environnement biologique local favorisant la repousse des nerfs au niveau des membres amputés.

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Si le combat que représente la mise en place d’une morale éthique universelle et durable est respectable, une fois n’est pas coutume, la conclusion finale de cette introduction à la bioéthique est sûrement de dire que le transhumanisme présente aussi certaines limites pour s’inscrire entièrement dans une démarche éthique globale. En effet, un des critères du futur que nous souhaitons est celui d’un futur sans handicap. La promesse d’un monde ou toute maladie génétique, provoquant un handicap moteur ou mental, ainsi que toute perte de validité suite à un accident, pourra être réparé[4].

Mais le terme handicap n’a d’existence que dans notre langage. Il s’agit d’une sorte de boîte où sont rangés les personnes qui sont limités dans les possibilités d’interaction avec leur environnement, dont la construction est totalement arbitraire.

Alors d’un point de vue biologique, qu’en est-il ? Notamment, pour les personnes atteintes de troubles neurologiques, ne serait-ce pas d’avantage une neurodiversité (horizontalité) plutôt qu’une déficience (verticalité) ? Une diversité de façon de penser, tout comme il existe une diversité de couleurs de peau. Et si, tout comme il y a eu la controverse de Valladolid, pour reconnaître finalement les “noirs” au même statut que les “blancs”, n’y aurait-il pas une nouvelle controverse pour reconnaître cette neurodiversité ?

En raisonnant comme cela, on peut même se poser la question de savoir si, au lieu de chercher à supprimer ces handicaps pour que ces personnes soient mieux intégrés à la société, pourquoi ne chercherait-on pas à changer et adapter directement la société à ces personnes ?

Et si l’handicap était également une chance pour l’humanité ? On peut déjà citer quelques personnalités handicapées célèbres, tels que Stephen Hawkings atteint de la maladie de Charcot, qui ont fait progresser de manière significative leur domaine scientifique. Plus généralement, les neuroscientifiques pensent que le câblage spécifique du cerveau des personnes autistes leurs permettent de mieux aborder les problèmes de mathématiques et de logique. Si bien que Microsoft recrute notamment ce type de personnes pour ses recherches sur l’Intelligence Artificielle.

Cette nouvelle approche de l’handicap n’est pas forcément en principe contre le transhumanisme. Il suffit notamment, comme le prône le technoprogressisme, de donner le choix à chacun, de bénéficier ou non d’une technologie. C’est choisir d’être différent ou comme les autres, pour éviter de reprendre le terme “handicapé”, qui n’a parfois de sens que pour celui qui ne l’est pas. Si être handicapé suite à un accident de voiture est rarement une fierté, être différent par nature, par naissance, peut réellement l’être.

Tout cela montre bien à quel point, lorsque l’on parle de bioéthique, le progrès recherché n’est ni scientifique, ni technique, mais bel et bien social. Et plutôt que chercher à agir sur les recherches, nous sommes très vite amenés à réfléchir sur notre société, notre culture, notre morale et notre manière de penser. En ce sens, la bioéthique nous amène à formuler une véritable définition de ce que l’on appelle l’humain.



Notes



[1] l’article 16-4 du code civil et L 2451-2 du code de la santé publique interdit toute modification du patrimoine héréditaire de l’espèce humaine.

[2] Il y a bel et bien une certaine forme de sélection naturelle des individus vaccinés, puisque sujets à moins de maladies ceux-ci vivent plus longtemps. Mais la définition de l’eugénisme présente un critère de plus, qui est celui de favoriser la persistance d’un caractéristique au fil des génération. Or, l’immunité suite à un vaccin n’est pas inné, elle est acquise, et ne sera pas transmise aux générations suivantes, qui doivent donc se refaire vacciner pour être immunisées.  

[3] Une IRM dite de diffusion, contrairement aux IRM classiques qui observent l’anatomie des tissus, va s’intéresser uniquement aux fibres nerveuses du cerveau. Il est possible, via cette approche, de cartographier l’ensemble des connexions macroscopiques au sein du cerveau, ce que l’on appelle le connectome.

[4] Pour aller plus loin sur la réflexion sur l’handicap, voici quelques liens :

L’éloge de ma fille bionique, de Vincent Billard

Caricatures du transhumanisme (point n°2)

Folie des grandeurs