Accepter et combattre la mort
Alexandre Maurer
2017-11-15 00:00:00
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Parlons un peu de fictions. Vous avez tous vu ou lu des récits qui abordent le thème de l’immortalité. En caricaturant un peu, le tableau est souvent le suivant.

D’un côté, un antagoniste obsédé par la quête de la « jeunesse éternelle ». Il est prêt à tout sacrifier pour y parvenir : ses amis, sa famille, voire parfois même l’humanité entière. Il est absolument terrifié par la perspective de mourir. Cela le pousse à agir de façon violente, irrationnelle, et sans considération pour la vie d’autrui. On pense à la figure populaire de Dorian Gray, reprise dans de nombreux récits.

De l’autre côté, un protagoniste qui a accepté la mort comme faisant partie de la vie. Pour lui, la beauté de la vie réside dans sa brièveté, et la mort est quelque chose de « naturel » qu’il faut savoir accepter. Cela nous renvoie au fameux sophisme de l’appel à la nature (mais ce n’est pas le sujet de cet article). C’est la morale – entre autre – du film Zardoz.





A gauche : Dorian Gray, l’archétype du personnage obsédé par la jeunesse éternelle.



A droite : Zed, le mortel qui libère les « éternels » de leur prison dorée, et les fait renouer avec la mortalité.

Si le héros est initialement immortel (ou plutôt amortel [1]), en vertu de ces considérations, il peut renoncer à son amortalité au cours de l’histoire. Il arrive aussi que le protagoniste parvienne à convaincre l’antagoniste que sa quête est folle et nocive, et à lui faire accepter la mortalité comme étant bonne et désirable.

Ces deux archétypes contiennent chacun un sous-texte évident :





Il semblerait donc qu’il y ait deux attitudes irréconciliables : d’un côté, celui qui cherche à repousser la mort ; et de l’autre, celui qui l’accepte pleinement.

Et si cela était une fausse opposition ?



Accepter la mort au quotidien



Nous, humains de ce début de 21e siècle, avons une probabilité non négligeable de mourir à moyen terme, bien avant notre fin « naturelle » par vieillissement. Nous pouvons être victime d’un cancer ou d’une crise cardiaque vers 50 ans. Nous pouvons également mourir de façon accidentelle. Par exemple, à chaque fois que nous prenons la voiture, le train ou l’avion, nous prenons un petit risque de mourir.

Même si ce risque est souvent très faible, nous sommes bien obligés d’apprendre à vivre avec lui. Sans cela, nous n’oserions plus sortir de chez nous, et notre vie serait au final bien terne et morose. Quand nous partons en voyage, par exemple, nous prenons délibérément un petit risque de mourir (dans un accident d’avion, dans un pays lointain…) en échange d’une expérience de vie enrichissante.

Si l’allongement de la durée de vie est une perspective sérieuse sur le long terme [2], elle n’est en revanche pas garantie sur le court terme. Ainsi, pour continuer à vivre sereinement, nous devons considérer la perspective de notre mort avec un grain de sel et avec un zeste de philosophie. Après tout, ce n’est (littéralement) pas la fin du monde !



Quand l’acceptation va trop loin



Certains, cependant, vont tellement loin dans cette acceptation qu’ils réagissent avec irritation lorsqu’on parle d’allongement de la durée de vie. En effet, une stratégie mentale courante pour accepter la perspective de la mort (la sienne ou celle de ses proches) est de se convaincre que la mort est bonne, naturelle, désirable. Aujourd’hui, cette idée est profondément ancrée dans l’inconscient collectif.

Quand on adopte cette stratégie radicale (souvent sans s’en rendre compte), on a de bonnes chances d’être irrité par ces gens qui parlent de stopper le vieillissement pour vivre sans limitation de durée. Cela entre en conflit avec des croyances que nous avons intériorisées, qui sont devenues une part de nous-même.

L’antagoniste de fiction évoqué plus haut, obsédé par la jeunesse éternelle, incarne une attitude extrême. Mais souvent, nous tendons sans nous en rendre compte vers l’autre extrême : une acceptation de la mort si radicale qu’elle nous pousse à nous faire l’avocat de la mort [3]. Pourtant, la mort ne fait pas grand chose de positif pour nous, alors qu’elle nous prive de nos proches et limite nos perspectives de vie !



Une acceptation plus sereine



Plutôt que de nous laisser entraîner vers une acceptation inconditionnelle de la mort, nous pourrions viser une acceptation plus sereine. Nous pouvons reconnaître que la mort peut surgir à tout moment (pour nous ou pour nos proches), et que la plupart du temps, nous n’y pouvons pas grand chose. Quand on ne peut pas changer une chose, il est préférable de l’accepter.

Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue que sur le long terme, la mort n’est pas nécessairement une fatalité biologique [2], et qu’une vie beaucoup plus longue en pleine santé est envisageable. Nous pouvons poursuivre cet objectif, non pas de façon malsaine et obsessionnelle (comme notre antagoniste de fiction), mais simplement comme un objectif que nous considérons comme désirable de manière générale – comme, par exemple, l’élimination du cancer. Si nous en bénéficions, tant mieux ; sinon, ce sera pour les générations futures, et le plus tôt sera le mieux.

Ni avocat de la mort, ni Dorian Gray : accepter la mort sans fatalisme, et la combattre sans névrose.

Notes

[1] Sur la nuance entre « immortel » et « amortel », voir la page « Immortalité ? ».

[2] Sur la perspective d’allongement de l’espérance de vie, voir le début de cet article. De manière plus générale, voir la lettre mensuelle « La mort de la mort » de Didier Coeurnelle.

[3] A ce sujet, voir l’article « Le syndrome de Stockholm de la mortalité » et la théorie de la gestion de la peur.