Aujourd’hui tous travailleurs… demain tous créateurs?
Alexandre Maurer
2017-06-27 00:00:00
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 First parution on La revue du Cube, n°12, June 2017

Si nos bras et notre cerveau sont remplacés par des machines, quel travail nous restera t-il ? Possiblement aucun. Et c’est tant mieux.

Cela impliquerait bien sûr une profonde remise en question de notre modèle économique, où le salaire est aujourd’hui lié au travail. Il faut dès maintenant imaginer des solutions pour redistribuer les bénéfices de cette automatisation massive, sous peine de se retrouver face à des foules en colère, privées de travail et donc de revenu. Une solution dont on parle de plus en plus souvent est celle du revenu de base universel : une somme fixe versée à chacun tous les mois, sans aucune condition, prélevée sur les gains de productivité liés à l’automatisation. Mais ce n’est qu’une solution possible parmi d’autres.

Supposons donc que chacun ait un revenu (même modeste) sans avoir de travail. A quoi ressemblerait cette nouvelle société ?

Si vous écoutez les adorateurs du Dieu Travail, majoritaires aujourd’hui, ce serait un monde bien sombre : des gens désœuvrés, déprimés, ne sachant plus quoi faire de leurs journées, privés de cette unique source de sens qu’est le travail… Après tout, n’est-ce pas déjà la condition de nombreux chômeurs ou retraités ?

D’un certain nombre d’entre eux, oui. Mais pas tous !

Nous sommes inconsciemment éduqués à voir le travail comme seul horizon de notre existence. Vivre sans travail demande donc une petite rééducation. Rien d’élitiste : une simple prise de recul.

Au fond, tout ce que nous pouvons faire d’enrichissant dans notre travail, nous pourrions également le faire sur notre temps libre. Mais l’inverse n’est pas vrai. En terme de liberté, c’est donc un gain net.

Si travailler devient facultatif, donc, rien ne nous empêche de continuer à travailler. Mais nous pouvons également créer. Créer de l’art, de la science, de la poésie, de la littérature, des relations humaines, des objets du quotidien, des expériences… Une création qui est sa propre récompense, et dont le partage enrichit la société.

Nous avons tous en tête le cliché du chômeur oisif et déprimé, tuant le temps devant la télévision, parfois poussé à l’alcoolisme… Mais on voit apparaître une nouvelle génération de chômeurs actifs, que l’on pourrait qualifier de « créateurs citoyens ».

Ils ont peu d’argent, tout juste assez pour se nourrir et payer le loyer. Mais ils ont un ordinateur et une connexion internet. Grâce à cela, ils ont accès à une quantité d’information vertigineuse : ils peuvent s’instruire dans tous les domaines imaginables. Ils peuvent apprendre à dessiner, écrire, composer de la musique, fabriquer des objets… Ils peuvent rejoindre des communautés en ligne rassemblant des passionnés d’un domaine précis, avec lesquels s’entraider et partager leurs créations. Dans ces communautés se font des rencontres et se nouent des amitiés qui, il y a seulement 30 ans, auraient été inimaginables.

C’est, selon moi, la plus belle réussite d’internet : permettre à des anonymes de partager gratuitement leurs créations, par simple passion. Romans, musiques, films, jeux vidéos, vulgarisation scientifique, réflexions philosophiques… ou recettes de cuisine. Et certains parviennent, de cette façon, à toucher une audience beaucoup plus large que par les moyens traditionnels.

Mais tout ce talent potentiel est aujourd’hui contraint et limité. Pour ceux qui travaillent, par le manque de temps libre. Pour ceux qui ne travaillent pas, par la précarité financière.

Et si, demain, la redistribution des gains de productivité permettait à chacun d’avoir à la fois un large temps libre et un revenu décent ? Chacun pourrait alors développer son talent personnel, de façon gratuite et désintéressée, et en faire profiter le monde… Demain, tous créateurs ?