Objections #5 : Caricatures du transhumanisme
Alexandre Maurer
2017-09-30 00:00:00
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Initialement publie sur le site de l'Association Franзaise Transhumaniste - Technoprog

Cet article fait partie d’un livre sur le transhumanisme. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Les transhumanistes ont peur de mourir ! Ils ne savent pas accepter la mort

Les transhumanistes ont peur de mourir ! Ils ne savent pas accepter la mort

Nous avons tout intérêt à accepter l’éventualité de mourir. Nous pouvons mourir à tout moment : accident de la route, meurtre, rupture d’anévrisme… Et si l’allongement de la durée de vie est une perspective sérieuse, elle n’est pas pour autant garantie de notre vivant. Si l’on veut vivre heureux, il faut être un minimum serein face à la possibilité de mourir, que ce soit demain matin ou dans plusieurs décennies. Appelons cela l’« acceptation sereine » de la mort (une dimension essentielle de l’ataraxie des anciens grecs).

Cependant, pour échapper à la peur de mourir, certain emploient une stratégie beaucoup plus radicale : se persuader que la mort est bonne, naturelle, nécessaire ; qu’elle est dans l’ordre des choses ; qu’elle a un sens profond qui nous dépasse ; etc. Cela rejoint la théorie de la gestion de la peur (Terror management theory). Appelons cela l’« acceptation radicale » de la mort.

Or, quand on brandit la nécessité impérieuse d’« accepter la mort », cela procède souvent de l’« acceptation radicale » de la mort. Car cette acceptation radicale entre en conflit avec toute volonté de repousser la mort ou de la rendre facultative.

En revanche, l’acceptation « sereine » n’est en rien incompatible avec la recherche d’une vie plus longue – que ce soit pour soi, pour d’autres ou pour les générations futures. La mort est acceptée, mais pas glorifiée ou idéalisée. Et l’allongement de la durée de vie est vu pour ce qu’il est : la possibilité d’avoir une vie plus riche et diversifiée, d’être davantage.

Pour prendre du recul sur la façon dont nous avons appris à aimer la mort, je conseille la fable du Dragon-Tyran de Nick Bostrom (traduite en français par Didier Coeurnelle).

Le transhumanisme est un fantasme de toute-puissance

Par rapport à nos ancêtres préhistoriques, nous vivons déjà dans une situation de relative « toute-puissance » par rapport aux contraintes naturelles. Un occidental moyen ne connaît pas la faim ou la soif prolongée, peut se déplacer très rapidement avec divers véhicules, et a un accès quasi-instantané à l’information via Internet.

Cela procède-t-il d’un désir pathologique de « toute puissance » ? Non : simplement du désir de vivre mieux et plus. De ne pas se préoccuper de savoir comment on va manger demain, et de se consacrer à des activités plus enrichissantes et épanouissantes.

Le transhumanisme n’est pas différent de cette aspiration communément acceptée à un niveau de vie moderne. Il ne s’agit pas d’être « tout-puissant » pour écraser et dominer la Nature (qui s’en moque pas mal !) ou l’humanité actuelle. Il s’agit d’étendre nos possibilités pour ce que cela nous apporte, et d’apprécier cette évolution pour elle-même.

C’est une vision d’ingénieur, une vision mécaniste, qui nie la complexité du vivant

Le monde vivant est incroyablement complexe, et aucun scientifique sérieux ne le nie. Pour autant, doit-on rester « paralysés » devant cette complexité vertigineuse, et s’abstenir de toute initiative ?

Au niveau moléculaire, les virus sont un phénomène extrêmement complexe, trop petit pour être observé directement. Cela n’a pas empêché de développer des vaccins dès la fin du XVIIIe siècle en Europe (et bien avant ailleurs dans le monde) et de mettre fin à des épidémies dévastatrices.

La science et la technologie ne prétendent pas comprendre et maîtriser intégralement les phénomènes naturels. Elles visent simplement à progresser chaque jour dans leur compréhension (partielle) et dans leur maîtrise (relative). Construire un avion, ce n’est pas nier la gravité !

Voir également : une vidéo de DirtyBiology sur la non-contradiction entre compréhension et admiration de la Nature.

Les transhumanistes se haïssent eux-même ! Ils haïssent leur corps, leur humanité, leur fragilité…

Face à quelque chose que l’on ne comprend pas, un réflexe classique est de « médicaliser » cette chose : on affirme que c’est un comportement pathologique, le résultat d’un trouble mental, d’un état dépressif, etc. En particulier, c’est un réflexe très courant lorsqu’on parle de transhumanisme [1].

Le raisonnement est le suivant : le transhumanisme veut changer notre condition actuelle ; donc, nous ne serions pas satisfaits de notre condition actuelle ; donc, nous détestons et haïssons notre condition humaine. L’image que l’on cherche à suggérer ici est celle d’une personne dépressive et malheureuse qui déteste son corps, et donc se mutile et se scarifie.

C’est jouer sur le sens du mot « satisfait ». Si l’on va par là, on pourrait arguer qu’une personne qui cherche à progresser dans n’importe quel domaine (musique, sport, études…) n’est pas satisfaite de son état actuel ! Mais vouloir y associer l’image ci-dessus semblerait grotesque et déplacé.

La réponse est la même que pour l’acceptation de la mort : on peut accepter sereinement la condition humaine actuelle, tout en cherchant à la faire évoluer. Avoir des objectifs transhumanistes n’implique aucunement la névrose ou la détestation de soi.

Lors des nombreux débats sur le transhumanisme (télévision, radio, conférences…), on assiste régulièrement à de la « psychanalyse de comptoir » du transhumanisme : on lui prête des causes psycho-pathologiques arbitraires. Comme ces affirmations sont arbitraires, elles ne sont pas directement réfutables, ce qui est fort commode. Si l’on veut faire une critique honnête et constructive du transhumanisme, il faut le faire frontalement, en le prenant pour ce qu’il est – et non contourner le débat en postulant des causes fantaisistes.

Article plus détaillé : « Est-il déraisonnable de vouloir plus ? »



Notes



[1] Cette critique s’appuie parfois sur le fait que certains des premiers auteurs anglo-saxons de la pensée transhumaniste ont exprimé une certaine volonté de se débarrasser de leur corps biologique (par exemple FM 2030) – qu’ils pouvaient qualifier de « meat » (de la viande). Mais cet argument néglige la volonté de provocation de ces auteurs d’avant-garde, et surtout, il ignore que cela ne correspond plus du tout à la position de l’immense majorité des militants du transhumanisme contemporain

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