Temps de vie augmenté : de quoi parle-t-on ?
Alexandre Maurer
2018-03-16 00:00:00
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Initialement publie sur le site de l'Association Francaise Transhumaniste - Technoprog

Cet article fait partie d’un essai sur l’augmentation du temps de vie. Pour en savoir plus, cliquez ici.

Comme écrit précédemment, cet essai considère deux pistes pour augmenter notre temps de vie : l’allongement de la durée de vie en bonne santé, et l’automatisation du travail.

Avant d’aller plus loin, il faut déjà préciser ce que l’on entend par ces deux pistes. En effet, l’expérience montre qu’il y a un grand nombre de malentendus à ce sujet.



Vivre beaucoup plus longtemps en bonne santé



La première piste consiste à utiliser les technologies (notamment bio-médicales) pour allonger notre durée de vie en bonne santé.

La partie « en bonne santé » est essentielle. En effet, lorsqu’on parle simplement d’augmenter l’espérance de vie, beaucoup pensent qu’il s’agit de vieillir indéfiniment, pour au final passer des siècles dans un état quasi-végétatif. Cette perception est peut-être due au mythe de Tithon, où un homme demande l’immortalité aux dieux, en omettant de demander également la jeunesse éternelle. Il se voit donc condamné à vieillir et à se délabrer éternellement.

C’est donc bien le processus de vieillissement qu’il s’agit de ralentir, de stopper, voire même d’inverser. Par exemple, on pourrait imaginer une personne qui suivrait son développement biologique normal jusqu’à l’âge de 30 ou 40 ans, puis qui conserverait cet âge biologique pendant une très longue période (50 ans, 200 ans, 1000 ans…) avant de se mettre à nouveau à vieillir.

On pourrait même imaginer conserver cet âge biologique indéfiniment : on parlerait alors d’amortalité biologique. Ce terme est préférable à celui d’immortalité, qui génère beaucoup trop de confusions, et nous entraîne vers des débats métaphysiques hors-sujet. Une personne qui est simplement amortelle pourrait, par exemple, mourir dans un accident de voiture.

Cependant, par souci de simplicité, je considérerai que l’on parle avant tout d’avoir une vie beaucoup plus longue en bonne santé – « beaucoup plus longue » pouvant aller jusqu’à plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires. En effet, si on peut s’interroger sur les implications d’une vie sans limitation de durée, on peut aussi considérer que les premiers humains qui vivront mille ans seront beaucoup mieux équipés que nous pour y réfléchir… dans plusieurs siècles. En attendant, la problématique de « vivre mille ans » est plus simple à envisager (toutes proportions gardées !) pour nous, modestes humains du XXIe siècle.

Dans les médias, le transhumanisme est souvent associé à des illustrations froides et anxiogènes, même lorsqu’on ne parle que de son versant « longévité ». Une manière beaucoup plus juste et honnête d’illustrer cet aspect serait la suivante : une personne qui semble avoir 30 ans ou 40 ans, et qui souffle les bougies d’un gâteau d’anniversaire orné du chiffre 100.



Dans une étude publiée en janvier 2018 dans le journal de l’American Health Association, des scientifiques estiment que nous nous dirigeons vers une médecine régénérative. Ils disent, je cite : « Les récentes avancées dans le domaine de la médecine régénérative ont montré que le vieillissement n’était pas un processus irréversible » (source).

Comme dit plus haut, l’objet de cet essai n’est pas de parler de l’aspect faisabilité. Cependant, pour les personnes intéressées par le sujet, je peux conseiller quelques lectures.

Je conseille tout d’abord les écrits de Didier Coeurnelle, militant très actif pour l’allongement de la durée de vie. Il a écrit un livre intitulé « Et si on arrêtait de vieillir ! », et co-écrit le livre « Technoprog » avec Marc Roux. Il publie également une lettre électronique mensuelle intitulée « La mort de la mort », riche en informations sur le sujet. Une très bonne source d’informations techniques est également le site « longlonglife.org« .

Toujours dans le monde francophone, on peut également citer le livre « La mort de la mort » de Laurent Alexandre (à ne pas confondre avec la lettre électronique sus-citée). Je suis loin d’adhérer à toutes les idées de Laurent Alexandre, notamment son idéologie pro-travail que je m’efforce de déconstruire ici. Cependant, ce livre fait un bon travail de pédagogie concernant la faisabilité de l’allongement radical de la durée de vie.

Enfin, dans le monde anglophone, je recommande « The Abolition of Aging », par le transhumaniste britannique David Wood, qui est extrêmement complet sur le sujet. Il y a bien entendu beaucoup d’autres livres sur le sujet, possiblement très bons, que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire.



Gagner du temps libre en automatisant le travail



La seconde piste consiste à utiliser la robotique et l’intelligence artificielle pour automatiser un grand nombre d’emplois (présents ou futurs), afin d’obtenir davantage de temps libre.

Dans une version « modeste », cela pourrait consister en une réduction progressive du temps de travail, en suivant la tendance amorcée au siècle précédent : 40 heures par semaine, puis 30 heures, puis 20 heures, puis 10 heures… Dans une version plus radicale, cela pourrait aller jusqu’à une société dite « post-travail », où le travail serait purement facultatif. Cela pose, bien entendu, la question de la répartition des richesses produites pour cette automatisation massive.

Aujourd’hui, au vu des progrès fulgurants de l’intelligence artificielle, il y a un consensus sur l’idée qu’un grand nombre des emplois actuels vont être automatisés. Les débats portent davantage sur la rapidité et l’ampleur de cette automatisation. Le « négationnisme de l’automatisation » n’est plus possible aujourd’hui.



En revanche, il y a des divergences importantes concernant les conséquences de cela. Certains considèrent que nous nous dirigeons vers une société post-travail, comme évoqué plus haut. D’autres, que l’on pourrait qualifier de « néo-schumpétériens », pensent que la destruction des emplois actuels n’est que le prélude à la création de nouveaux emplois, et que ce cycle de « destruction créatrice » peut durer indéfiniment.

Je laisserai ici de côté la question de savoir si l’automatisation va (dans le système économique actuel) mener à la création de nouveaux emplois en nombre suffisant. Je me contenterai juste de remarquer qu’il est théoriquement possible d’utiliser ces futurs gains de productivité pour offrir davantage de temps libre à chacun, tout en continuant à améliorer notre niveau de vie. Que nous faisions cela ou pas est une question politico-économique, et non une question technologique.

Ceux qui défendent une société du travail affirment qu’une telle évolution politico-économique n’est ni possible, ni souhaitable. Remarquons tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une simple lubie de doux rêveurs : de nombreux économistes, dont certains très reconnus, soutiennent que s’engager dans cette voie est possible. Cependant, je vais m’efforcer ici de démontrer que cela est souhaitable.

En effet, l’idée, aujourd’hui très répandue, que cela n’est pas souhaitable, est un énorme frein à la recherche de solutions politico-économiques allant dans ce sens. S’il y avait un consensus sur la désirabilité de ceci, nous serions beaucoup plus efficaces dans la recherche de solutions, et beaucoup plus volontaristes dans leur mise en œuvre. Or, il y a un courant idéologique opposé qui affirme que, même en mettant de côté toute considération économique, le travail est l’alpha et l’omega de toute vie humaine, et que nous devons sauver le travail à tout prix.

Notons qu’il ne s’agit pas d’un choix binaire à faire entre « société du plein travail » et « société du temps libre ». On peut imaginer que les gains de productivité ne seront que partiellement utilisés pour gagner du temps libre, comme c’est déjà le cas aujourd’hui. Je ne m’inscris pas ici dans une démarche « tout ou rien », et je ne nie pas les contraintes économiques actuelles. Comme pour l’allongement de la durée de vie, je soutiens juste qu’il serait souhaitable d’aller dans cette direction, et de mobiliser une bonne partie du « cerveau collectif » pour chercher des solutions. Aujourd’hui, nous somme encore loin d’un tel consensus sociétal.



Donner le choix



Pour finir, une précision qui me semble essentielle : il ne s’agit à aucun cas de forcer des gens à vivre beaucoup plus longtemps ou à cesser de travailler. Il s’agit simplement d’offrir à ceux qui le souhaitent la possibilité de ne plus mourir aux alentours de 80 ans, et de ne plus avoir à travailler pour obtenir un niveau de vie décent.

Une personne qui souhaite mourir, si cela est un choix libre et réfléchi, doit être autorisée à mourir à l’âge de son choix. Maintenir des gens en vie pendant des siècles contre leur gré serait clairement immoral. Notons qu’aucun promoteur d’une vie plus longue ne propose de faire cela : c’est un « homme de paille » entièrement créé par le camp adverse. Similairement, une personne qui souhaiterait continuer à effectuer un travail donné doit être libre de le faire.

Autrement dit, il s’agit simplement de rendre la mort et le travail facultatifs. Aujourd’hui, le choix n’existe pas. Nous sommes amenés à mourir avant 130 ans (dans le cas de plus optimiste), après une longue phase d’affaiblissement physique et mental, et la plupart des gens doivent travailler pour avoir un niveau de vie décent. Il s’agit donc de donner le choix en offrant de nouvelles possibilités, et non de restreindre les possibilités existantes.

  

(à suivre…)

Sujet du prochain chapitre : « L’importance du temps »

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