Jacques Testart transhumaniste?
Alexandre Maurer
2019-03-01 00:00:00
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Initialement publie sur le site de l'Association Francaise Transhumaniste - Technoprog

Jacques Testart, biologiste connu pour avoir contribué à la naissance du premier bébé éprouvette en France, est un militant anti-transhumanisme bien connu dans les médias français. En tout cas, il se considère comme tel, et est considéré comme tel. Des porte-paroles de notre association ont eu l’occasion de le croiser dans de nombreux débats (par exemple ici).

Dans une récente conférence, il tient des propos qui ont de quoi surprendre (entre 21:32 et 22:54). Après avoir fustigé le transhumanisme, il expose ce que serait « sa » vision de l’augmentation humaine :




« Si l’augmentation de l’humain visait la généralisation ou la permanence des qualités humanistes, on pourrait dire que là, on a affaire à une augmentation de l’humain. Par exemple, si on avait des individus qui seraient de plus en plus inscrits dans l’empathie, qui hériteraient de la convivialité, d’une aptitude à contribuer au bien commun… Ce serait ça, une augmentation. »

« Il pourrait y avoir une augmentation, celle que je viens de décrire, davantage d’empathie par exemple, qui ne serait pas une sortie de l’humanité, mais une exacerbation de l’humanité. Cette augmentation-là, je la veux bien. »

« Il me semble qu’une évolution qui serait positive, qu’elle s’appelle transhumanisme ou médecine, peu importe… ça serait la généralisation d’un état de santé, à tous les âges de la vie, chez le jeune, l’adulte, le vieux…. dans toutes les couches de la population, dans tous les pays du monde… On pourrait dire que c’est une augmentation. C’est quelque chose qui nous arrive en plus et qui serait bénéfique. »




Rappelons que le transhumanisme n’est rien de plus que le fait d’être favorable à certaines modifications de l’humain [1]. Il en existe de nombreuses formes.

Sur la base des déclarations ci-dessus, Jacques Testart est donc bien favorable à une certaine forme de transhumanisme (une forme de transhumanisme également approuvée par la plupart des membres de notre association). Bienvenue au club !





« Mais ça, ce n’est pas ce que veulent les transhumanistes ! »



Toutefois, Jacques Testart ponctue chacun des paragraphe ci-dessus par : « Mais ça, ce n’est pas ce que veulent les transhumanistes ! » (en plusieurs variantes).

Il s’agit ici d’un phénomène que l’on observe chez de très nombreux « opposants du transhumanisme » (revendiqués comme tel, du moins). Plus encore chez Olivier Rey, qui intervient juste après Jacques Testart. Ce phénomène consiste à fabriquer un épouvantail transhumaniste, avec des caractéristiques telles que : la névrose et l’hybris ; la haine et le dégoût de son corps biologique ; une désir obsessionnel et sans but de « performance pour la performance », d’être meilleur que le voisin, d’écraser les autres ; de vouloir plus « juste pour avoir plus », dans une fuite en avant nihiliste ; etc.

Le problème est que cet épouvantail transhumaniste… n’existe pas. Jacques Testart rétorque à cela qu’il ne parle pas de « nous », les transhumanistes-bisounours francophones, mais des « vrais transhumanistes ». Mais les transhumanistes névrotiques dont il parle (et il n’est pas le seul) n’existent en fait nulle part dans le monde. Ou alors de manière archi-minoritaire (pour toute idée extrême X, vous trouverez quelque part dans le monde des gens qui pensent X).

Ce ne sont pas les gens qui, par exemple, ont participé au colloque TransVision 2018 à Madrid [2] – ce qui inclut de très nombreux « transhumanistes libertariens de la Silicon Valley », sources de tous les fantasmes et de toutes les diabolisations [3]. Si Jacques Testart faisait l’effort de discuter avec eux, il s’apercevrait que leurs idées sont bien davantage proches de ses déclarations ci-dessus que de son « épouvantail transhumaniste ». Ce n’est pas non plus, pour les mêmes raisons, les riches PDG de la Silicon Valley, si l’on prend le temps de lire leurs déclarations en détail.

Lors d’une table ronde à l’Institut Pasteur, j’avais demandé de vive voix à Jacques Testart : « mais de quels transhumanistes parlez-vous, à la fin ? ». Il ne m’a pas répondu, et n’a toujours pas répondu à cette question depuis (à ma connaissance).

Le problème est que de nombreux auteurs ou orateurs bâtissent leur notoriété sur leur condamnation de cet « épouvantail transhumaniste » qui n’existe pas (ou alors, sur l’effroi qu’il suscite). Cet épouvantail est bricolé à partir de quelques citations parmi les plus radicales des transuhumanistes les plus radicaux et « farfelus » (généralement prises hors-contexte). Mais il repose surtout sur l’expression fourre-tout « les transhumanistes » : « les transhumanistes veulent ceci », « les transhumanistes veulent cela »… On peut affirmer ce qu’on veut, personne n’ira regarder derrière le flou artistique de l’expression « les transhumanistes » (comme si c’était un mouvement homogène à l’idéologie bien définie [4]).

Dans de très (trop) nombreux débats francophones, « les transhumanistes », c’est la petite marionnette pour enfant avec une grande bouche, qu’on agite pour leur faire peur, et à qui on fait dire ce qu’on veut avec une grosse voix :

« Les transhumanistes »



Cette seule raison explique en bonne partie le niveau faible (très, très faible) des débats sur le transhumanisme en France. Au lieu de se concentrer sur la question de savoir ce qui serait souhaitable ou pas (par exemple, vivre 300 ans en bonne santé), on se concentre sur la diabolisation et la psychiatrisation de l’épouvantail « les transhumanistes » – qui, de toute façon, n’existe pas. Tout cela est bien triste.

J’ai hélas peu d’espoir que des intervenants comme Jacques Testart ou Olivier Rey (mais aussi bien d’autres [5]) modifient cette stratégie de facilité, sur laquelle ils ont tant investi. J’adorerais me tromper, bien sûr. Mais je ne compte pas dessus.

Ce que je peux faire, en revanche, beaucoup plus modestement, c’est mettre cette stratégie en lumière, de façon patiente et répétée (comme dans cet article). En espérant qu’un jour, le public la trouve trop ridicule pour que quiconque se risque à l’employer.





Notes



[1] En latin, le préfixe « trans- » peut signifier soit « au-delà de », ce qui donne « transalpin », soit « à travers », comme dans « transsibérien ». Mais dans tous les cas, il y un changement, un déplacement, une modification. Ici (« trans + « humain »), il s’agit de modifier l’humain. Cette définition simple et neutre peut recouvrir une myriade de changements possibles, et donc de transhumanismeS différents. Il est cocasse que de nombreuses personnes se sentent obligées d’introduire des définitions beaucoup plus complexes (et généralement plus sombres et anxiogènes). Mais même si on adopte la définition (plus étoffée) proposée sur Wikipédia, les déclarations de Jacques Testart relèvent toujours du transhumanisme.

[2] Colloque organisé par l’association transhumaniste mondiale « Humanity+ » – nom choisi pour souligner l’importance d’augmenter (« + »), non pas seulement l’individu, mais également l’humanité (« Humanity ») prise comme un tout. Je fais cette remarque pour Olivier Rey, qui affirme plus loin que le transhumanisme est 100% individualiste et ne propose aucune « vision d’ensemble » de la société.

[3] Avoir des désaccords idéologiques avec ces derniers (c’est mon cas) ne justifie pas de leur inventer des « cornes de démon » qu’ils n’ont pas.

[4] Tout étudiant en sciences humaines un minimum sérieux, qui étudie le sujet dans le cadre d’un mémoire ou d’une thèse, s’aperçoit rapidement que l’expression « les transhumanistes » (prise comme un tout homogène) n’a pas de sens.

[5] On pourrait également citer Laurent Alexandre, qui agite le même épouvantail transhumaniste. Pas nécessairement pour le condamner, toutefois ; plutôt pour ajouter à la tonalité « apocalyptique » de ses discours. Ce qui n’est pas moins dommageable, malheureusement.