Et si l’enfance devenait rare ?
Marc Roux
2017-01-20 00:00:00
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Cet article est la version française et rédigée d’une conférence donnée le 30/09/2016 lors de l’Eurosymposium on Heathy Aging de Bruxelles.

Les perspectives démographiques envisagées par les transhumanistes n’impliquent pas seulement un allongement radical de la durée de vie en bonne santé mais aussi une diminution de la part des plus jeunes dans la population. Quelles conséquences pourraient avoir une raréfaction de l’enfance ?

Une baisse multi-séculaire

L’une des critiques à laquelle est souvent sommé de répondre le mouvement longévististe est celle qui consiste à l’accuser d’irresponsabilité, la perspective d’une durée de vie en bonne santé radicalement étendue devant déboucher sur une crise de surpopulation. Face à cette interpellation, les transhumanistes répondent que, tout au contraire, les tendances démographiques de long terme peuvent nous rendre optimistes face au fantasme de la surpopulation.

Néanmoins, la démographie historique ne nous donne pas qu’une seule indication majeure sur ces tendances, mais deux ; or les longévitistes comme les transhumanistes en général ont peut-être tendance à négliger la seconde. En effet, au fur et à mesure que les populations gagnent en espérance de vie, les taux de fécondité baissent. Une fois passée la période de transition démographique (au cours de laquelle la natalité chute plus tard que la mortalité) d’une part la population décroît mais d’autre part, et par voie de conséquence tout aussi mathématique, la part des jeunes et des enfants diminue. Dans un pays comme la France, le premier au monde à avoir entamé sa transition démographique, le phénomène dure de manière quasi ininterrompue depuis 200 ans.

Selon les sources de L’Institut National Français des Études Démographiques, la part des moins de 20 ans dans la population française a évolué comme suit :





(Marc Roux, « What if childhood became scarce? », EHA, 2016, d’après INSEE. Voir aussi : « Vie très longue en bonne santé : effets en termes de démographie », février 2014)

En 2012, la part des moins de 20 ans était tombée à 24,5% et selon une étude prospective du même institut, ce taux atteindrait 22% en 2060.

Et cette évolution est celle qui a accompagné le passage d’une espérance de vie de 25-30 ans à une autre qui atteindrait peut-être les 90 ans dans les projections classiques, sans victoire sur le vieillissement.

Que pourrait-il alors advenir si se réalisaient les espoirs des longévitistes ?

Perspectives démographiques

Une chose est sûre quand on parle à ce point d’avenir, c’est que nous ne pouvons formuler que des hypothèses.

Essayons d’imaginer ce qui pourrait se passer sur un siècle si demain, ou après-demain, la recherche scientifique finissait par trouver le graal, le cocktail qui nous permettrait de contrôler le vieillissement.

Ici, ma principale hypothèse est que, après une période de transition de quelques décennies durant lesquelles nous continuerions à faire de moins en moins d’enfants, nous finirions par n’en avoir presque plus, ou tout au plus ce qui serait nécessaire pour compenser la faible mortalité accidentelle.

Or, considérons la mortalité dite « violente », celle qui ne provient que de causes excluant la maladie, le vieillissement et les consommations excessives notamment, c’est-à-dire qui rassemble les accidents, les suicides et les homicides. Sur la dernière décennie, nous constatons que celle-ci est passée, en France, en dessous des 60.000 décès par an, et se trouve en baisse continue.





(Mortalité accidentelle en France 2000-2010 / INED)

Dans la perspective d’une population stabilisée (Il est prévu qu’elle s’équilibre plutôt autour de 75 millions d’habitants), et sans tenir compte du bilan migratoire, cela signifierait 60 à 70.000 naissances par an. Environ 1 naissance pour 1.000 habitants. Par contraste, ces dernières années le taux de natalité français a fluctué autour de 11 à 13 naissances pour 1.000 habitants. Plus de 10 fois plus.

Traduit sur un graphique en pyramide des âges, une telle évolution pourrait donner ceci.

Démographie-fiction :

une pyramide des âges 100 ans après une victoire sur le vieillissement



 

Facteurs psychologiques

Évidemment, en réalité, les femmes et les hommes ne font pas des enfants dans le but de stabiliser des statistiques. Entrent en jeu des facteurs comme le statut sociologique de la famille, le besoin de projection de soi, voire, plus stupéfiant encore … l’amour !

Il est donc hautement improbable que le graphique précédent corresponde jamais à une réalité.

Un autre facteur est le contexte économique. Si c’est dans les pays les moins riches qu’on a eu tendance à faire le plus d’enfants, à quoi pourrait-on s’attendre selon que, une fois la longévité radicale assurée, la situation générale soit celle de l’abondance ou au contraire celle d’une pénurie généralisée nous contraignant à la décroissance ? En fait, l’expérience tend à me faire dire que, dans les deux cas, une fois qu’une population a dépassé la phase d’effondrement de sa fécondité, elle ne retrouve plus facilement des taux élevés, quelles que soient les conditions.

La richesse et l’abondance poussent plutôt à la projection individuelle. Dans un contexte de longévité radicale, le désir d’engendrer pourrait être très longtemps repoussé. Sur le long terme, il pourrait être souvent renouvelé, mais avec des intervalles considérables entre deux maternités ou paternités – pour autant que ces deux termes veuillent encore dire quelque chose.

Mais la crise économique, dans une société qui a été habituée à une certaine aisance, ne pousse pas non plus à se remettre à faire des enfants. Les difficultés à maintenir un niveau de vie considéré comme normal se traduisent par une impossibilité partielle à se projeter dans sa descendance. À quoi bon faire des enfants, si c’est pour leur offrir une vie de pauvreté ou de misère.

Autre argument, on peut considérer qu’une baisse de la natalité accompagnera forcément une longévité de plus en plus importante, parce qu’une même génération vivant très longtemps aura moins le désir de renouveler souvent l’expérience de la parentalité, que de nombreuses générations se renouvelant rapidement.

Il faut aussi avoir à l’esprit que nous vivons encore, et principalement les femmes, sous la pression d’une période de fécondité limitée. La Procréation Médicalement Assistée (PMA) a repoussé les frontières de la fécondité biologique, mais elle ne les a pas fait disparaître. Les perspectives transhumanistes radicales, comme celle de la réjuvénation ou celle de l’utérus artificiel, permettraient de faire des enfants à tout âge. Sur le long terme, il me semble que la disparition de l’injonction de devoir faire des enfants avant 40 ans devrait avoir pour conséquence un étalement du nombre des grossesses et donc leur diminution globale.

Ainsi, les raisons qui pourront continuer à faire baisser la natalité me paraissent nombreuses. Néanmoins, même si je sais bien qu’en matière de futur, il est toujours facile de se tromper, ce qui me paraît le plus intéressant à explorer aujourd’hui est la question des conséquences en cas d’effondrement confirmé de la natalité.

Conséquences envisageables d’une raréfaction de l’enfance

De même que nous pouvons essayer de réfléchir aux avantages et inconvénients d’une vie très longue en bonne santé, nous pouvons chercher à anticiper les effets d’une forte diminution de l’enfance dans nos sociétés. Celle-ci devrait provoquer :





La perspective de sa raréfaction nous conduit évidemment à nous demander ce que nous apporte, ou éventuellement ce que nous coûtent (Sic ?) la présence et le contact avec les enfants. Peut-on envisager des avantages, ou n’y aurait-il que des inconvénients ?

Manque de dynamisme ou manque symbolique ?

Parce qu’il n’est pas possible ici d’être exhaustif, je ne citerai que deux types d’inconvénients

Le risque le plus souvent mis en avant comme effet de la baisse des jeunes générations, voire de la cessation de leur renouvellement, c’est celui d’une perte mortifère du dynamisme de nos sociétés. L’absence des jeunes n’empêchera-t-elle pas la nécessaire remise en question des certitudes des aînés ? Par ailleurs, les jeunes années – au moins celles des jeunes adultes, ne sont-elles pas celles de la plus grande créativité ?

Et bien, en fait, ceci est peut-être vrai dans le domaine artistique, mais est très discuté pour les sciences et techniques.

Âge moyen des Nobel scientifiques au moment de leur découverte



En fait, selon les mêmes sources, il apparaît que l’âge moyen de la maturité scientifique ne cesse d’augmenter, la quantité de savoir à accumuler pour produire une nouveauté étant sans cesse plus importante.

Mais à mon avis, le plus grand inconvénient pourrait provenir de la perte de l’expérience du contact avec les enfants. Celle-ci ne joue-t-elle pas, en effet, un rôle majeur dans la manière dont nous donnons un sens à nos existences, aujourd’hui comme depuis toujours ?

L’enfance autour de nous nous donne l’exemple de la simplicité, de la spontanéité, de l’étonnement devant le monde et de la curiosité, de la fragilité mais aussi de notre étonnante capacité à l’adaptation. L’enfance nous offre sa naïveté en même temps que son extraordinaire potentiel, car l’enfant est celui qui peut devenir. En ce sens, à lui seul il est une image symbolique de l’humain en transition.

Renforcer la valeur de l’enfance ?

En échange de telles pertes, quels avantages espérer ?





Au final, comme je ne suis pas devin, je n’ai vraiment aucune idée de ce que seront les conséquences d’un effondrement de la part de l’enfance sur nos sociétés et nos mentalités.

Au contraire, je suis historien de formation, et la seule chose que je sais, c’est que le passage de sociétés où l’enfance représentait près de 50% de la population à celle où elle ne compte bientôt plus que pour un cinquième n’a pas provoqué un effondrement de civilisation. Il s’est traduit par des transformations profondes, pour le meilleur, comme l’enseignement de masse ou le moins bon, comme le règne de l’enfant unique.

Quoi qu’il en soit, ces deux siècles de recul continu de l’enfance sont ceux de la plus formidable inventivité qu’ait jamais connu l’histoire de l’humanité. De la même manière, aujourd’hui, la diminution du nombre d’enfants dans les pays en développement se traduit par une augmentation du niveau moyen des études et une élévation impressionnante du nombre de chercheurs. Le recul de l’enfance n’est donc pas synonyme d’un moindre dynamisme.

Reste cette question que je pose aux longévitistes – dont je suis : que pourra-t-on imaginer si la raréfaction de la présence enfantine devient trop importante, aussi bien en nombre que dans sa dimension symbolique ?

J’ai rapidement envisagé la question et je ne fais que vous présenter 5 hypothèses qui ne brillent pas par leur originalité, et j’espère bien que vous trouverez de meilleures idées :





Quoi qu’il en soit, je serais sans doute en accord avec les plus obtus des bio-conservateurs en considérant que nous perdrions une part essentielle de notre humanité si nous perdions l’enfance.