La « roue hédonique » (2/3) : Du bonheur
Marc Roux
2018-09-21 00:00:00
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Initialement publie sur le site de l'Association Francaise Transhumaniste - Technoprog

Rappel du SOMMAIRE :

(1ère partie) Introduction / Du plaisir

Le “circuit de la récompense” : description psychologique

Le “circuit de la récompense” : description neuro-physiologique

(2ème partie) Du bonheur – Suffira-t-il de sortir de notre roue de hamster ?

Résumé de l’article Wikipédia sur l’Adaptation hédonique

Plaisir contre bonheur : dopamine contre sérotonine

(3ème partie) Conséquences possibles de modifications du système

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Du Bonheur



Suffira-t-il de sortir de notre roue de hamster ?



D’un point de vue matérialiste et scientifique, la notion de bonheur correspondrait simplement à « l’accès à la conscience » d’un état de satisfaction important et durable : je me rends compte / je suis capable de me dire à moi-même que je ressens durablement ou régulièrement du plaisir et de la satisfaction. Le dictionnaire propose : <<État de la conscience pleinement satisfaite.>> (Le Robert). L’encyclopédie Wikipédia dit : <>

Seulement, un nombre important d’études tendent à montrer que, comme nos plaisirs, notre bonheur ne ferait qu’évoluer entre un niveau minimum et un niveau maximum. Ces niveaux sont variables d’une personne à l’autre, mais pour une même personne, ils ne changent guère durant une vie entière. C’est ce phénomène qui est dénommé  hedonic treadmill. Par ailleurs, comme pour nos plaisirs, après une période de sensation de bonheur important, nous avons pratiquement la garantie que nous reviendrons à un niveau habituel, voire que nous connaîtrons une petite période de déception.

L’article anglophone de l’encyclopédie Wikipédia sur le “Hedonic treadmill” est très éclairant sur cette question, et je vous propose ici un résumé de la traduction que j’en ai faite.



“The Hedonic treadmill” – Résumé de l’article Wikipédia



(NB : Une traduction en français de l’article intégral est maintenant accessible sur Wikipédia à la page intitulée : “Adaptation hédonique”)




Introduction

La « roue hédonique » (hedonic treadmill), également connue sous le nom d’adaptation hédonique, est la tendance observée des humains à revenir rapidement à un niveau de bonheur relativement stable en dépit d’événements positifs ou négatifs majeurs ou de changements importants dans leur vie.

La notion de « point de repère hédonique » (ou du bonheur) a suscité de l’intérêt dans le domaine de la psychologie positive où il a été développé et révisé plus avant. Étant donné que l’adaptation hédonique démontre généralement que le bonheur à long terme d’une personne n’est pas significativement affecté par des événements par ailleurs marquants, la psychologie positive s’est préoccupée de la découverte d’éléments qui peuvent conduire à des changements durables dans les niveaux de bonheur.

Aperçu

L’adaptation hédonique implique un «point d’équilibre» du bonheur, par lequel les humains maintiennent un niveau constant de bonheur tout au long de leur vie, malgré les événements qui se produisent dans leur environnement. L’une des principales préoccupations de la psychologie positive est de déterminer comment maintenir ou élever « son point d’équilibre du bonheur », et de plus, quel genre de pratiques mènent à un bonheur durable.

Le processus de l’adaptation hédonique implique des changements cognitifs, tels que des modifications de ses propres valeurs, de ses objectifs, de l’attention que l’on porte et de l’interprétation que l’on fait d’une situation. En outre, les processus neurochimiques désensibilisent les voies hédoniques hyperstimulées dans le cerveau, ce qui peut empêcher la persistance de niveaux élevés de sentiments positifs ou négatifs intenses. Le processus d’adaptation peut également se produire à travers la tendance des humains à construire des raisonnements élaborés pour se considérer comme “dépossédés”, selon un processus que le théoricien social Gregg Easterbrook appelle le «déni d’abondance».

Principales approches théoriques

Approche comportementale / psychologique

La théorie du niveau d’adaptation de Helson soutient que la perception de la stimulation dépend de la comparaison des stimulations antérieures. Le tapis roulant hédonique fonctionne de la même manière que la plupart des adaptations qui servent à protéger et améliorer la perception. Dans le cas de la réaction hédonique [ndt : la recherche de plaisir], la sensibilisation ou la désensibilisation aux circonstances ou à l’environnement peut rediriger la motivation. Cette réorientation fonctionne pour se protéger contre la complaisance, mais aussi pour accepter des circonstances immuables et rediriger les efforts vers des objectifs plus efficaces. Ainsi, on ne se satisfera qu’un temps d’une promotion professionnelle, mais on s’habituera à moins souffrir d’une situation de grandes difficultés continue, comme lorsqu’on vit en zone de guerre.

Pareillement, les gagnants des loteries comme les victimes d’accidents graves, après une période de quelques semaines, reviennent généralement à un niveau de bonheur équivalent à celui qu’ils éprouvaient avant l’événement qui devait changer leur vie [NOTE : Brickman, Coates et Janoff-Bulman, « Lottery Winners and Accident Victims: Is Happiness Relative? » (« Les gagnants de loterie et les victimes d’accidents: Le bonheur relatif ? »), 1978].

Néanmoins, nous ne sommes pas tous égaux, ni quant au niveau atteint par notre point d’équilibre hédonique, ni quant à nos facultés d’adaptation face aux évènements. Par ailleurs, ces facultés semblent partiellement héréditaires [NOTE : Diener, Lucas et Scollon, « Beyond the Hedonic Treadmill, Revising the Adaptation Theory of Well-Being » («Au-delà du tapis roulant hédoniste, révision de la théorie de l’adaptation du bien-être»), 2006].

D’autres estiment que notre point d’équilibre du bonheur fluctue le long d’une ligne évolutive et que cette ligne peut se situer plus ou moins haut selon les personnes. Des études sur des jumeaux tendent à montrer que près de 50% du niveau de bonheur que nous sommes susceptibles d’atteindre ou de ressentir serait d’origine génétique.

Principales conclusions empiriques

Il existe des preuves contradictoires sur la validité de la théorie de la roue hédonique. Néanmoins, toute une série d’études, depuis les années 1970, montrent que, tant des gagnants de loterie que des paraplégiques, des personnes ayant connu une évolution de leur situation familiale (mariage, enfants, licenciements), des personnes ayant été emprisonnées ou encore des victimes d’accidents traumatiques, se considéraient, quelque temps plus tard, aussi heureux qu’avant l’événement qui avait marqué leur vie, et qu’ils s’attendaient à retrouver un niveau de bonheur égal un an après.

[Citation intégrale de l’extrait suivant]

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La taille de l’hippocampe semble également pouvoir affecter l’humeur, les points d’équilibre hédoniques et certaines formes de mémoire. Certains exercices, activités ou facteurs environnementaux pourraient favoriser un accroissement de l’hippocampe.

Applications

Le concept du point d’équilibre du bonheur peut être appliqué en psychologie clinique pour aider les patients à revenir à leur point d’équilibre hédonique. Aider les patients à comprendre que le bonheur à long terme est relativement stable tout au long de la vie peut aider à atténuer l’anxiété entourant les événements marquants.

Des relations d’attachement positives, des perceptions positives de soi, des compétences autorégulatrices (autodiscipline émotionnelle), des liens avec des organisations encourageant la sociabilité et une vision positive de la vie sont des facteurs qui peuvent contribuer à maintenir un équilibre du bonheur.

Points de vue critiques

Notre point d’équilibre hédonique individuel peut n’être qu’une tendance génétique et non un critère complètement déterminé permettant l’accès au bonheur. Il peut être influencé, notamment par des drogues.

Les études sur les jumeaux renvoyant à un syndrome de «roue hédonique» peuvent être mises en doute parce que les paires de jumeaux ne sont pas nécessairement placés dans des environnements sensiblement différents. Les similitudes entre les jumeaux peuvent provoquer des réactions similaires de la part de l’environnement.

Un autre biais vient du fait que les événements négatifs nous marquent bien davantage que les positifs. De ce fait, il peut être difficile de créer un changement positif durable.

Une étude de 2008 (Headey) conclut que l’équilibre et la confiance en soi sont les deux facteurs les plus importants qui affectent le bien-être subjectif. Elle constate également que l’adoption d’objectifs qui enrichissent les relations avec les autres et avec la société augmente le niveau de bien-être subjectif. Inversement, attacher de l’importance aux objectifs comme le succès professionnel, la richesse et le statut social aurait un impact négatif faible mais statistiquement significatif. La durée de l’éducation semble n’avoir aucun lien direct avec la satisfaction de vivre. Enfin, en contradiction avec la théorie du point d’équilibre, Headey n’a trouvé aucun retour à l’homéostasie après un handicap ou une maladie chronique.




Il en ressort que, comme pour le plaisir, notre aptitude au bonheur, ainsi que notre possibilité d’atteindre des niveaux plus élevés ou des états davantage durables de bonheur dépend largement d’équilibres biochimiques.



Plaisir contre bonheur : dopamine contre sérotonine



Néanmoins, il n’est pas dit que les ressorts biochimiques du bonheur soient exactement les mêmes que ceux du plaisir. À ce sujet, l’avis du pédiatre et neuroendocrinologue américain Robert Lustig, bien que récent et sujet à commentaires, est intéressant. Pour résumer à grands traits, il argumente que l’excès de plaisir peut être nuisible à l’état de bonheur. En effet, là où le premier dépend surtout de la dopamine, le second serait davantage lié à la sérotonine. Or, la synthèse de ces deux neurotransmetteurs semble bien être en concurrence dans l’organisme, les briques de base, des acides aminés, nécessaires à leur élaboration étant transportés par les mêmes vecteurs. De manière générale, et selon un biais peut-être exagérément moralisateur, il oppose plaisir et bonheur selon sept critères. En plus de la différence entre dopamine et sérotonine, il expose : <> [Note : Le Monde, “Réseaux sociaux, sucre… les Occidentaux accros à la dopamine”, 29/01/2018 ; Robert Lustig, The Hacking of the American Mind, Penguin, 2017]. Ces oppositions duales sont sans doute par trop simplifiées, mais le rôle de la sérotonine comme régulateur de notre accès au sentiment de bonheur devra être étudié.

Reste à savoir à quels cycles sont soumis la production et la résorption de la sérotonine, et là, ça se complique !

Dans un troisième et dernière partie, nous essaierons d’envisager ce que pourraient être, dans une perspective transhumaniste, quelques unes des conséquences d’interventions techniques pratiquées sur ces équilibres fragiles.